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Magazine PROF n°18

 

Libres propros 

Action, recherche, formation : pour une nouvelle alliance

Article publié le 01 / 06 / 2013.

Notre rubrique Libres propos donne la parole à un spécialiste de l’éducation, en lui demandant de faire part à nos lecteurs d’un message, important selon lui, à leur transmettre aujourd’hui. Jean Donnay (1) prend le redoublement comme analyseur des relations entre recherche et professionnalisation des enseignants.

Jean Donnay : « Il faut penser une nouvelle alliance activité-recherche-formation en éducation, intégrée dans une politique institutionnelle, basée sur le décret Missions ».
Jean Donnay : « Il faut penser une nouvelle alliance activité-recherche-formation en éducation, intégrée dans une politique institutionnelle, basée sur le décret Missions ».
© Jean Donnay

Comment se fait-il que de très nombreux travaux de chercheurs montrent que le redoublement a des effets négatifs largement supérieurs aux effets positifs et que, paradoxalement, il continue d’être pratiqué dans la plupart de nos écoles ?

Chercheurs et praticiens de terrain ne défendraient-ils pas les mêmes valeurs : le bonheur de l’enfant et du jeune ? Un enseignant fait-il redoubler de gaîté de cœur ? Sûrement pas. Divergeraient-ils sur ce qui est « bon pour l’élève » ? Sur ce qui explique la réussite ou l’échec ? Serait-ce une question de moyens ? La politique qui structure le fonctionnement de l’école en classes plutôt qu’en cycles serait-elle responsable (2)? Sans doute « un peu de tout » !

Pour ma part j’épinglerais une facette de ce paradoxe : le redoublement est un bel exemple pour analyser l’incommunicabilité entre chercheurs et praticiens. J’essaierai d’en tirer quelques éléments susceptibles d’enrichir la formation des enseignants, un enjeu sociétal essentiel et très actuel.

La recherche en éducation, pour ou sur l’éducation ?

Les recherches en éducation souvent interreliées, peuvent poursuivre plusieurs finalités .
1. Établir, ou mieux, construire des faits. Par exemple les évaluations du type PISA, qui cherchent à décrire les performances de systèmes d’enseignement. Ce sont généralement des enquêtes systématiques et scientifiquement structurées. Quel est le taux de redoublement en Fédération Wallonie-Bruxelles ?, par exemple.
2. Comprendre, c’est-à-dire établir des hypothèses de liens entre les faits. Ce type de recherches applique des méthodes qui respectent une
« grammaire » codifiée par l’une ou l’autre communauté scientifique. Quels facteurs interviennent dans la décision de faire redoubler ?
3. Résoudre des problèmes. On cherche alors à transformer les activités, les organisations du travail, à agir sur ce qui peut être changé. Y compris les représentations des acteurs. Ce type de recherche est souvent associé à la dite recherche action. Comment éviter de faire redoubler ?
4. Créer des instruments générateurs de savoirs, d’intelligibilité ; produire des compétences, des méthodes pour comprendre, pour transformer des activités. Ce type de recherche, en quelque sorte de deuxième niveau, est souvent qualifié de recherche académique ou universitaire. De quels instruments se doter pour décoder les causes de l’échec ?

Chacun son métier

L’enseignant enseigne et le chercheur cherche… Il faut penser une nouvelle alliance activité-recherche-formation en éducation, intégrée dans une politique institutionnelle, basée sur le décret Missions. Cette nouvelle alliance s’inscrirait dès le départ de la formation de tous les futurs enseignants. Elle repose, d’une part, sur la re-connaissance par le chercheur des savoirs créés par les praticiens dans leurs situations de travail, et d’autre part sur le développement chez l’enseignant d’un langage professionnel « stabilisé », c’est-à-dire partagé avec la communauté scientifique.

Tout enseignant est un cré-acteur. Il crée du savoir dans les activités qu’il mène. S’adaptant aux imprévus, à l’évolution des publics scolaires, aux changements des environnements, il doit très souvent chercher, trouver et mettre en œuvre des réponses originales, locales, parfois dans l’instant, qui diffèrent de « sa préparation ». A fortiori s’il a le sentiment de ne pas avoir été préparé à rencontrer des situations difficiles.

Après qu’il ait dû adapter son action et donc s’adapter aux transformations, l’enseignant n’est plus le même. Il a appris. Ainsi, en menant ses activités en interaction avec « le monde », en transformant ses actions, il SE transforme en même temps. Il apprend. Les élèves ne sont-ils pas, finalement, les vrais formateurs de leur maitre ?

La réalité du terrain est, pour tout enseignant, source possible de création de savoirs et donc formatrices… à condition d’être « capitalisées ». Car si, c’est en enseignant qu’on devient enseignant, l’expérience - vue comme une connaissance interne à l’enseignant et qui se la reconnait comme telle - n’est formatrice que si elle est mise en mental et mieux, mise en mots. Encore faut-il disposer du vocabulaire qui permette de la formaliser. Même si le langage ne rendra jamais complètement compte du réel.

Le savoir enseignant à formaliser

Bien souvent, le savoir enseignant est orienté vers l’action : mobilisé spontanément, et parfois dans le feu de l’action ; souvent implicite, inséré dans la pratique sans que l’enseignant en soit vraiment conscient et ne ressente la nécessité de l’expliciter ; intuitif et pas nécessairement argumenté ; singulier, lié à l’histoire de la personne et ancré dans son vécu ; chargé, culturellement, d’affects : d’émotions, de sentiments et de valeurs.

Pour toutes ces raisons, le savoir enseignant est difficile d’accès, et donc son explicitation demande un travail sur soi. Tout est là ! La mise en mental, la mise en mots des activités, même si seules ces dernières comptent. Personne ne s’étonne qu’un jardiner, un garagiste, un juriste… ait son propre vocabulaire pour désigner les « objets » qu’il traite et les actes qu’il pose. La maitrise d’un langage professionnel aide à structurer la pensée, tout comme la théorisation des pratiques en permet la maitrise. La réflexivité s’inscrit dans cette attitude de travail.

Cette mise en mental, cette mise en mots permet une plus grande maitrise des « connaissances en actes », une meilleure prise sur les pratiques, et par là facilite l’échange, le partage, le transfert, voire le dépassement. Plus le vocabulaire utilisé pour réfléchir est précis et s’inscrit dans un registre de savoirs structuré par des observations, des études, des recherches validées par des approches rigoureuses, plus la réflexivité sera professionnelle et peut avoir une portée professionnalisante. Le vocabulaire utilisé quitte le sens commun pour ressortir à un langage spécifique à la profession.

« Il doit redoubler parce qu’il manque de maturité », ai-je souvent entendu. Que se cache-t-il derrière ce mot ? Quelle hypothèse fait-on en faisant redoubler un élève qui « manque de maturité » ? La maturité repose sur la croyance que du temps sera nécessaire à l’enfant pour se développer, « mais où l’enfant apprendra-t-il le mieux, pose le directeur de cette école primaire en D+. Dans sa classe ou dans la classe suivante ? »

Réflexion ou réflexivité ?

Réfléchir c’est déjà mettre en mental, adopter une certaine distanciation par rapport à la situation. Mais la réflexion reste interne à la situation. Une approche réflexive amène le praticien à aller derrière les choses. Elle est en quelque sorte une réflexion sur la réflexion. La réflexivité cherche à déconstruire ce qui se passe afin d’en construire le sens. « Comment expliquer la décision de faire redoubler? » La distanciation est donc encore plus importante : on regarde la situation de l’extérieur.

Cette posture d’extériorité demande un travail sur soi. Plus l’implication dans la situation est importante, plus cette distanciation sera difficile. Le recours à une personne médiatrice, en position tierce, peut en faciliter le processus. Il y a place ici pour les accompagnateurs d’enseignants, qu’ils soient formateurs, conseillers pédagogiques, chercheurs ou membres de l’équipe éducative de la même école ou d’une école partenaire (3).

La réflexivité implique donc un saut épistémologique, une réflexion sur la réflexion, propice à une conceptualisation, une formalisation des savoirs créés dans l’action. L’enseignant est bien un cré-acteur. Ses savoirs explicités peuvent aider à comprendre pour agir, et peuvent être diffusés et partagés. Le sens des actions résulte de ce travail réflexif, qui reste néanmoins ancré dans du vécu, dans des pratiques concrètes.

Du praticien réflexif au praticien chercheur

Il y a de ces praticiens en quête permanente d’amélioration de leurs pratiques pour lutter contre l’échec et l’exclusion. Il y en a bien davantage que certains médias le laissent entendre (4). Cette attitude s’accompagne bien souvent de lectures, de formations, de contacts entre pairs ou de recherches et de partage sur internet. Le recours à des études, des recherches, des concepts, qui aident à comprendre ce qui se joue dans les situations de travail parfois difficiles, permettent-ils, aussi, cette mise à distance inductrice de gestion de soi? L’enjeu actuel de la formation et du développement professionnel des enseignants est bien de former à la recherche et/ou par la recherche.

Un des défis de la réforme de la formation initiale des enseignants ne consisterait-il pas à intégrer dans le processus même de formation des activités professionnalisantes s’appuyant sur une analyse des pratiques, dans une approche réflexive, afin de développer des attitudes de recherche propices à un accès aux savoirs reconnus et partagés au sein de la communauté scientifique à laquelle se rattache le métier d’enseignant.

Par exemple, une manière de placer les étudiants dans une posture de recherche consiste à partir des situations réelles complexes à problématiser afin de les rendre traitables sous forme de résolution de problème, souvent de manière multidisciplinaire. Car dans la réalité, les situations ne se présentent jamais sous forme de problème traitable, mais plutôt comme une complexité à rendre intelligible pour pouvoir la traiter. Le recours à la littérature scientifique est alors nécessaire.

Quant aux chercheurs…

D’un autre côté, dans cette nouvelle alliance, une posture du chercheur pour l’éducation reposerait sur une sorte de contrat avec le(s) praticien(s), piloté par une adhésion partenariale et une nécessité réciproque. Chacun dans sa différence poursuivant un projet négocié, où chacun a besoin de l’autre pour construire un savoir pertinent, pour eux-mêmes et pour la communauté éducative.

La posture des pédagogues en chambre en surplomb par rapport aux praticiens de terrain est devenue intenable. L’intérêt du chercheur consiste à essayer d’extraire des pratiques singulières ce qui peut être transférable à d’autres situations de travail. Mais ceci c’est une encore autre histoire encore !

Jean DONNAY

(1) Jean Donnay est professeur ordinaire émérite des Universités de Namur et Louvain – Département Éducation et Technologie.
(2) Le chercheur Hugues Draelants, dans sa thèse de doctorat, rassemble assez bien les questions qui traitent du redoublement dans notre pays, sans jugement mais sans complaisance vis-à-vis tant des politiques, que des chercheurs et des acteurs du terrain.
(3) DONNAY J., CHARLIER E. (2008), Apprendre par l’analyse de pratiques : initiation au compagnonnage réflexif, Namur, Presses Universitaires de Namur (2e éd.).
(4) C’est pourquoi avec l’équipe de http://www.televisiondumonde.be nous donnons la parole à ces travailleurs de l’ombre qui, passionnés par leur métier, cherchent des solutions nouvelles aux enjeux actuels de l’éducation des jeunes.

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