Magazine PROF n°21
Droit de regard
Patrons et directions doivent se parler
Article publié le 01 / 03 / 2014.
Dans cette nouvelle rubrique nous proposons le regard que pose sur notre enseignement un représentant d’un autre secteur. Pieter Timmermans, administrateur délégué de la Fédération des entreprises de Belgique (FEB/VBO), ouvre la marche.
Dans son livre Credo pour gagner, Pieter Timmermans a consacré un chapitre à l’enseignement. Il a également conservé des contacts étroits avec le monde universitaire. Jusqu’en 2007, il a enseigné à la Vlaams Economische Hogeschool Brussel pour garder le contact avec les jeunes. Et, son épouse est enseignante. Aussi, il se dit « très heureux d’étrenner la rubrique Droit de regard ».
PROF: De façon globale, qu’attendez-vous de l’enseignement ? De quelles compétences (générales, techniques, transversales,) doit-il doter les élèves ?
Pieter Timmermans: Qu’il transmette des savoir-faire plutôt que des savoirs. Lire, écrire, compter. Mais aussi, à l’heure d’Internet, rechercher des informations et, parmi le flot disponible, filtrer celles qui sont pertinentes et les interpréter. Mais il doit également apprendre certaines attitudes humaines importantes : la ponctualité, le respect des collègues, le respect des consignes, le travail en équipe,… Je trouve important qu’enseignants et parents se soutiennent mutuellement dans l’éducation. Même si aujourd’hui ces deux ailes d’éducateurs se replient sur elles-mêmes, voire se rejettent la balle.
Mais il y a plus. Il y a 60 ans, les Belges avaient encore le charbon. Aujourd’hui, ils n’ont plus que leurs cellules grises. L’enseignement universitaire peut mettre l’accent sur l’innovation et le gain de parts de marché à l’exportation. L’enseignement secondaire est encore très cloisonné. Pour de nombreux parents et leurs enfants, l’enseignement professionnel est un choix négatif qui, souvent, fait suite à un échec dans les autres filières. Or, les entreprises réclament à cor et à cris de bons techniciens.
Revaloriser le qualifiant est un défi majeur pour le Nord et le Sud du pays. L’enjeu est colossal. Onze pourcents des Belges quittent le secondaire sans diplôme. Nous sommes dans la moyenne des pays européens, mais c’est trop. Dans les cinq prochaines années, les Communautés et Régions doivent faire diminuer cette statistique.
Que peuvent apporter les entreprises à l’école ? Et comment nouer le dialogue ?
Nous plaidons pour amplifier des bonnes pratiques. L’expérience d’immersion en entreprise vécue chez Audi et d’autres (1) donne un bilan très positif. Cela est dû à un partenariat entre l’école et l’entreprise. Il faut amplifier le dialogue entre acteurs de ces deux mondes. En Allemagne, un fonctionnaire visite les écoles et les entreprises d’une localité ou d’une sous-région pour mettre à jour les besoins de chacun. Un exemple à suivre.
Le Gouvernement fédéral vient de créer un cadre pour les différents types de formation en alternance, en droit du travail. Il faudra l’affiner et l’amplifier avec un volet sécurité sociale. Et travailler ensuite avec les Communautés et les Régions pour mettre en place des structures légères de rencontres avec les écoles et les entreprises volontaires. Je plaide pour un partenariat entre une école et une ou deux entreprises de la région. C’est toujours un «win-win». Une ou deux réunions par an suffisent. Si elles ont besoin d’un soutien structurel, les bassins scolaires pourraient être une piste.
Certains verront là une volonté de mainmise du monde économique sur le monde enseignant. Peu m’importe lorsque l’intérêt du « schoolmoe », du jeune démotivé, est en jeu. Lorsqu’il est placé dans une situation concrète, il se motive et, au bout du compte, il a des perspectives d’emploi.
Il faut travailler avec les volontaires, chez les étudiants, chez les enseignants, chez les patrons. Un exemple comme celui d’Audi séduira d’autres entreprises et fera contagion. Elles sont toutes en demande de bons techniciens. Cela prendra peut-être du temps. En Allemagne, le système est né dans les années ’30 et il a fameusement évolué.
Ne renvoyez-vous pas la responsabilité vers les pouvoirs publics ?
Non. D’une part, les fonds sectoriels pourraient être une autre piste. Ce sont les fonds qui gèrent les cotisations des entreprises pour la formation et la sensibilisation. D’autre part, l’important c’est que les gens de terrain se parlent, qu’il y ait débat. Et les entreprises sont prêtes à y prendre part.
Ne faut-il pas aussi un dialogue entre l’école, les entreprises et les acteurs d’orientation ?
En effet, lorsque j’ai assisté à une réunion d’information sur les études supérieures avec ma fille de 18 ans, j’ai posé la question : « Quelles sont les opportunités en matière d’emploi ? » Personne n’a pu me répondre. Pourtant, les informations sur les métiers en pénurie et les métiers peu porteurs sont connues du Forem, d’Actiris et du VDAB. Il faut laisser certes le libre choix, mais rester attentif à l’investissement collectif. Les acteurs d’orientation doivent être attentifs à faire passer ces informations sur le marché de l’emploi. Nous n’avons que 18 % de nos étudiants dans les secteurs STEM (sciences, technologies, économie, mathématiques). Ce n’est pas assez.
Et les moyens ? Le memorandum de la FEB pour les élections du 25 mai affirme clairement que les entreprises n’augmenteront pas leurs cotisations…
Depuis 20 ans, on décrète des plans et des mesures qu’on impose aux entreprises. Cela devient très compliqué pour elles. Et puis, cela n’est pas assez efficace. Il faut simplifier l’approche et utiliser d’une façon différente les cotisations des entreprises investies dans la formation et la sensibilisation. Le moment est propice. La crise diminue. Les baby-boomers vont bientôt prendre leur pension et laisser de la place sur le marché de l’emploi. Enfin, la réforme de l’Etat va amener des compétences différentes aux Régions et Communautés.
Par ailleurs, certains pensent que ne sont bonnes que les formations où on investit beaucoup. Avant d’investir plus, il faut se poser une autre question : quel est le contenu de la formation ? C’est plus important que le taux d’investissement. Ainsi, les entreprises ne mettront pas plus de moyens sur la table. La FEB propose de les utiliser autrement, à meilleur escient. Aujourd’hui, l’immersion en entreprise est plus intéressante que les plans d’embauche stricte. C’est la piste à privilégier.
Et, si cela fonctionne, pourquoi ne pas envisager la possibilité de permettre aux enseignants qui le désirent de faire un break de quelques semaines pour découvrir le monde de l’entreprise, eux aussi. Cela sera de l’ordre du possible.
Plus léger : pouvez-vous conter un souvenir d’école qui vous a marqué ?
Quand j’étais en rhéto au Sint-AloysiusCollege, à Ninove, au début des années ’80, mon professeur de physique, M. Van Kelecom, nous a parlé des énergies renouvelables. On était en pleine crise pétrolière, on recherchait des alternatives. Passionné, j’ai potassé livres et magazines – il n’y avait pas Internet à l’époque – pour réaliser un travail de fin d’études sur les éoliennes. Cela m’a conduit à opter pour une formation combinant sciences humaines (économie) et exactes (ingénieur).
Propos recueillis par
Catherine MOREAU et Patrick DELMÉE
(1) Lire « Immersion en entreprise : Audi et Don Bosco roulent ensemble » dans notre numéro (20) de décembre 2013, pp. 4-5.
En deux mots
Ingénieur commercial diplômé de l’Université de Louvain (KUL), Pieter Timmermans a été assistant durant deux ans à la faculté d’économie, se spécialisant dans les finances et la politique économique et sociale.
Il est entré au Service d’études du Ministère des Finances, puis il est devenu conseiller au cabinet d’Herman Van Rompuy pour la politique socio-économique. En 1998, il est devenu le n° 2 de la Fédération des entreprises de Belgique. Depuis 2012, en tant qu’administrateur délégué, il est négociateur de haut niveau dans le cadre des accords interprofessionnels conclus avec les syndicats et le gouvernement.
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