Magazine PROF n°28
L'info
Toilettes à l’école : du pain sur la planche !
Article publié le 01 / 12 / 2015.
Avec l’appui d’un Fonds géré par la Fondation Roi Baudouin, trente-six écoles fondamentales se sont lancées dans un projet de rénovation des toilettes. En combinant aménagements matériels et actions de sensibilisation pédagogique.
La proviseure d’un athénée du Hainaut raconte : « À mon arrivée, atterrée par l’état des toilettes, j’ai fait installer de nouvelles planches et portes, des verrous… Tout a été saccagé ! J’ai alors impliqué les enfants d’une classe qui ont repeint les murs, sensibilisé les autres élèves au respect des lieux. Mais hélas, le respect ne se transmet pas et quand ces enfants-là ont quitté l’école, le vandalisme a repris. Il a même fallu mettre du grillage autour du distributeur de savon ! »
Ce témoignage indique clairement que gérer le « petit coin » à l’école, ce n’est pas seulement une affaire d’infrastructures, mais aussi d’organisation et de pédagogie.
Des sanitaires installés loin des classes, sans chauffage ni portes ni verrous, des canalisations gelant en hiver, un éclairage insuffisant, des robinets qui coulent… ou pas, un manque de savon… C’est le quotidien de bien des écoles. En contradiction flagrante avec l’importance accordée actuellement à l’éducation à la santé et aux règles élémentaires d’hygiène. Les Socles de compétences, en éveil-initiation scientifique, ne prévoient-ils pas la sensibilisation à l’éducation à la santé et à l’hygiène de vie ?
Sacha Lesage, auteur d’une étude réalisée pour la Fédération des associations de parents de l’enseignement officiel : « Comment inciter les enfants à être à l’aise dans leur corps et avec leurs besoins naturels si les toilettes ne sont pas ou mal chauffées, dégagent de mauvaises odeurs et sont dans un état de délabrement qui frise l’insalubrité ? Comment parler du respect de l’intimité si les toilettes sont constamment surveillées par un éducateur ou s’il manque tous les verrous des portes ? » (1)
Une toilette pour plusieurs dizaines de garçons
Côté règlementation, aucune norme contraignante n’est prévue pour les infrastructures sanitaires des écoles. Les architectes s’appuient sur des recommandations (d’autres architectes) datant des années ‘70. Elles prévoient un cabinet pour vingt filles ou trente garçons et un urinoir pour vingt garçons. Au-delà de cinq-cents élèves, ces chiffres peuvent être multipliés par deux.
Les élèves dont le cursus prévoit une forme de travail effectué dans l’école (en technique et professionnel le plus souvent) sont considérés, eux, comme des travailleurs, comme évidemment les membres du personnel. Ils bénéficient donc des normes prévues par le Code sur le bien-être au travail : une toilette au moins pour quinze femmes et pour quinze hommes (pour ces derniers, les WC peuvent être remplacés par des urinoirs s’il y a au moins un WC pour vingt-cinq travailleurs). (2)
L’état des toilettes scolaires peut avoir des conséquences sur le plan de la santé, définie par l’Organisation mondiale de la Santé comme un « état de complet bien-être physique, social et mental ». Bien des élèves préfèrent se retenir de boire toute la journée pour se ruer dans de « vraies » toilettes à la maison. Au risque de développer troubles de la vessie, constipation, infections urinaires ou génitales à répétition, qui peuvent aller jusqu’à des problèmes d’incontinence. Et comment un enfant qui passe sa journée à se retenir, à ne pas satisfaire un besoin fondamental, peut-il se concentrer sur les apprentissages scolaires ?
Un baromètre du bien-être
La faute à qui ? Bien souvent, ce sont les élèves qui sont montrés du doigt, accusés de se défouler dans ces lieux échappant au contrôle social de l’adulte et au regard des autres. Dans son mémoire en Sciences de l’éducation, Sophie Liebmann considère les toilettes comme un baromètre du bien-être ou du mal-être des enfants (3). Les écoles réagissent à cette situation par de multiples mesures pratiques : limitation de l’accès aux toilettes aux seules récréations, sous la surveillance d’un enseignant ou d’un éducateur, rationnement du papier toilette… La faute, aussi, à la vétusté des infrastructures qui entraine la démotivation du personnel d’entretien.
Des pistes d’amélioration existent et certaines écoles les ont expérimentées, comme on le verra dans les pages qui suivent.
Catherine MOREAU
(1) LESAGE, S. Les toilettes de l’école …ou comment « apprendre » à se retenir, étude de la Fapeo, 2015 http://www.bit.ly/1FRuE1k
(2) Code sur le bien-être au travail : http://www.bit.ly/1FWV2qE
(3) LIEBMAN S., Analyse socio-pédagogique de la place du corps à l’école primaire : le cas particulier des toilettes, ULB, Faculté des Sciences psychologiques et de l’éducation, 2008-2009.
Puis-je laisser un élève quitter la classe pour aller aux toilettes ?
La réponse doit être nuancée. En principe, oui car l’enseignant, responsable de ses élèves durant son cours, doit veiller à leur bien-être, y compris au respect de leur intégrité physique.
Mais il faut apprécier la demande au cas par cas. Dans certains cas, il faudra accompagner l’élève en veillant à ne pas laisser la classe sans surveillance. C’est le cas si l’enfant est trop jeune pour s’y rendre seul, s’il est atteint d’un handicap physique ou mental. Ou si son comportement laisse à penser qu’il pourrait quitter l’école au lieu de gagner les toilettes ; si son trajet passe par un endroit à risque (un couloir en chantier, de nombreux escaliers pour un tout-petit,…)
Dans d’autres situations, l’enseignant pourra refuser la demande de l’élève, notamment si elle est abusive.
En cas d’accident, la responsabilité sera toujours appréciée selon le critère « du bon père de famille » c'est-à-dire que l’on appréciera si une personne normalement prudente et diligente placée dans les mêmes circonstances aurait eu la même réaction que la personne en question. Celui ou celle qui aura agi « en bon père de famille » ne sera pas inquiété(e).
C. M.
Mission à poursuivre à Binche
Le projet de l’Athénée royal de Binche a permis de réaménager les sanitaires et de sensibiliser l’équipe éducative. Reste à assurer la surveillance et le respect des lieux…
Le générique de Mission Impossible retentit. C’est parti pour un petit film très réaliste réalisé par deux classes de 5e primaire de l’Athénée de Binche avec leurs enseignantes, Sabine Hulin et Tamara Stryczek. « Notre mission : rénover les toilettes de l’école et en faire un lieu propre, agréable, où il fait bon vivre », annoncent les réalisateurs. Et d’appeler à réagir : « Un tiers de la population mondiale n’a pas accès aux toilettes. Et voilà ce que nous en faisons ». Suivent des images de graffitis sur les portes, de cannettes jetées dans les urinoirs, de claquements de portes, de batailles d’eau…
Sabine Hulin précise que pour répondre aux critères du Fonds BYX, géré par la Fondation Roi Baudouin, le projet devait comporter plusieurs axes : des aménagements concrets, une sensibilisation préalable et continue des utilisateurs, et une évaluation. Les enseignantes ne naviguaient pas sans balises. L’ASBL Question Santé s’est occupée des objectifs du projet, de la logistique et du financement ; l’ASBL Jeune et Citoyen, elle, s’est chargée d’outiller et d’accompagner les jeunes et l’équipe éducative.
Fatima Amkouy et Fanny Ryelandt, animatrices de Jeune et Citoyen, ont commencé par recueillir les craintes et attentes de chacun. Puis, accompagnées par les deux enseignantes, elles ont proposé aux enfants de visiter les toilettes pour en dresser un état des lieux. « Ensuite, une discussion a eu lieu en classe. Chaque élève a pu exprimer son ressenti et donner des pistes pour améliorer la situation, explique Mme Hulin. Certains rêvaient de portemanteaux, de plantes vertes, de portes transformées en tableaux effaçables ou de carrelages recouverts d’un enduit anti graffitis… »
Les animatrices sont revenues à plusieurs reprises pour assurer le suivi du projet avec les enseignantes et les élèves. « Notamment en aidant les élèves à établir une ligne du temps des étapes du projet, à acquérir les outils nécessaires à son développement, à se répartir les tâches et à dresser une liste des conduites à éviter à l’avenir pour maintenir en bon état les toilettes rénovées », précise Mme Amkouy.
Des idées aux travaux
Pour sensibiliser d’autres élèves, les deux classes et leurs enseignantes ont réalisé Mission in-team. Avec l’objectif d’interpeler, de susciter des changements en montrant les comportements observés dans l’utilisation des toilettes de l’école.
Une mission bien remplie car ce film, projeté dans les classes fondamentales et secondaires, a suscité de nombreuses réactions récoltées par les enseignants. Mme Hulin : « Il a fallu faire un tri (certains élèves réclamaient des caméras, des détecteurs de fumée, des gardes à l’entrée des lieux) puis discuter avec la préfète, le directeur, l’économe, les ouvriers de l’école, pour déterminer les aménagements les plus adéquats».
Un subside de 8 000€ du Fonds BYX et un coup de pouce financier de l’école ont permis de placer des lavabos en aluminium, des distributeurs de savon et de papier hygiénique, un sèche-mains, de nouveaux boutons poussoirs pour les urinoirs et un nouvel éclairage. Tandis que murs et portes ont été repeints.
Des fresques et un règlement
Il reste du chemin à parcourir. Sur le plan des aménagements, d’abord. « Nous espérons une intervention du Fonds des bâtiments scolaires pour placer de nouvelles portes et de nouveaux sanitaires, explique Pierre Lucas, directeur du fondamental. Cette année, des fresques devraient être réalisées, sur les thèmes de la musique et des sports, imaginées par des élèves du secondaire au cours d’éducation plastique. Projetés sur les murs des toilettes, les dessins seront peints par des élèves de primaire.
Et puis il reste surtout à assurer le respect des lieux. L’année dernière, Mme Hulin a travaillé avec sa classe à l’élaboration d’un règlement. Les élèves ont choisi cinq grands principes : respect (des travaux réalisés), hygiène (lavage des mains…), propreté, sérénité et santé (éviter de fumer…). Ils seront illustrés par des dessins affichés aux murs. Et le directeur l’annonce : les élèves des quatre classes de 6e primaire se relaieront pour surveiller les lieux pendant les récréations.
Catherine MOREAU
Préserver la pudeur des moins valides
Élèves et enseignants de l’École d’enseignement secondaire spécialisé de la Communauté française, à Marloie, étaient à l’étroit dans leurs murs. « Quand nous avons appris que nous pourrions disposer de locaux, libérés par l’école primaire autonome à Forrières, une équipe pluridisciplinaire a réfléchi au futur aménagement en termes de confort et de bien-être pour nos élèves. La réflexion a intégré la prise en compte de la question, sensible, de l’accès aux toilettes », explique Pascal Piron, chef des travaux d’atelier et chargé des relations avec l’Administration générale des infrastructures dans le cadre du projet.
Résultat : l’espace qui accueillait les sanitaires a été repensé en tenant compte des difficultés et des besoins spécifiques de chacun. Une position centrale a été privilégiée. Pour favoriser les déplacements et optimaliser l’autonomie des élèves de forme 1 (adaptation sociale) et principalement des élèves polyhandicapés. Et, surtout, pour garantir intimité et respect de la pudeur à ces grands adolescents.
C. M.
Des pistes et des outils
• Après l’appel à projets dont ont pu bénéficier trente-six écoles fondamentales, le Fonds BYX, géré par la Fondation Roi Baudouin, lancera en janvier 2016 un nouvel appel destiné, lui, aux écoles secondaires. Les établissements retenus bénéficieront d’une aide pour réaliser un projet concret autour de l’amélioration de leurs sanitaires en combinant aménagements matériels et actions de sensibilisation pédagogique.
• Ce Fonds BYX a aussi édité L’école et ses « fondament’eaux ». Constats et pistes pour une politique de l’eau à l’école. http://bit.ly/1Mvd5Ld
• Pour les travaux de construction, aménagement, modernisation de bâtiments scolaires, les écoles du réseau Wallonie-Bruxelles Enseignement peuvent obtenir des aides financières auprès du Fonds des bâtiments scolaires de l’enseignement de la Fédération Wallonie-Bruxelles ; les établissements officiels subventionnés peuvent s’adresser au Fonds des bâtiments scolaires de l’enseignement officiel subventionné et les écoles libres confessionnelles et non confessionnelles s’adresseront au Fonds de garantie des bâtiments scolaires. Le Programme prioritaire des travaux peut aussi intervenir.
• Au sein de la Direction générale des Infrastructures de la Fédération Wallonie-Bruxelles, le domaine des infrastructures scolaires peut aussi conseiller les écoles sur l’achat de matériaux robustes et résistant au vandalisme. http://www.infrastructures.cfwb.be/index.php?id=98
• http://www.netournonspasautourdupot.be veut motiver et accompagner les écoles qui s’engagent dans un projet de rénovation de leurs espaces sanitaires. Il propose une méthode et des repères pour mener un projet à long terme, des fiches à télécharger avec des exemples d’activités, et des outils ou des expériences menées dans d’autres écoles.
• Des professionnels de la santé des Cliniques universitaires Saint-Luc, le service Promotion de la Santé à l’école de Bruxelles-Capitale (antenne de Watermael-Boitsfort), une institutrice et le programme Pipsa (organisé par le Service Promotion de la santé de Solidaris), ont conçu un jeu de l’oie, Mon petit coin. Des cartes colorées avec questions et réponses permettent d’aborder l’hygiène, la diététique et le fonctionnement des systèmes digestif et urinaire. S’ajoutent un dossier pédagogique, une fiche « dix commandements », un poster personnalisable, un « stop-porte », un diplôme à colorier pour les enfants et un dépliant de conseils pour les parents. Ce jeu sera disponible au début 2016 auprès de l’ASBL Question Santé. http://www.questionsante.org
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