Magazine PROF n°4
Dossier Lecture : des signes aux sons et aux sens
La résistance du Doudou méchant
Article publié le 01 / 12 / 2009.
Rien de tel que de tester le cercle de lecture pour en découvrir toutes les richesses, avant de l’appliquer ensuite avec ses futurs élèves…
Ce lundi, c’est cercle de lecture (1) au cours de didactique du français d’Aracelli Montilla, à la Haute École Lucia de Brouckère, sur le site d’Anderlecht. Répartis en huit groupes, ses quarante-cinq étudiants de 2e bachelier instituteur primaire partagent leurs notes de lecture.
« Normalement, avant la lecture, l’instituteur crée avec sa classe deux référentiels, sur les contenus et sur les procédures, précise Mme Montilla. Ce sur quoi on peut discuter à partir d’une œuvre littéraire (thème, personnages, illustrations, couvertures, morale, langue, titre…) et comment on le fait (gestion du temps de parole, droit d’opinion…) »
« En principe, le livre est lu en classe. D’abord à haute voix par l’instituteur. Vous ne commencez pas à vous asseoir pour faire autre chose pendant que vos élèves lisent », insiste Mme Montilla, pour qui il faut avoir pratiqué le cercle de lecture pour l’appliquer. D’ailleurs, trois instituteurs, venus de l’École 16 de Schaerbeek, sont ici, en formation. Plus tard, les étudiants iront voir comment Caroline Gigot, Bernard Sireuil-Bauwens et Souad Agneessens gèrent l’activité en classe.
Ici, la journée commence par la mise en commun de notes consignées dans un cahier de lecture (idéalement, il accompagne l’élève durant toutes ses primaires). Outre le travail sur les stratégies de lecture, l’activité exerce des compétences transversales. Premier travail : schématiser le débat du groupe sur une affiche. Objectif final : la construction commune du sens d’une œuvre littéraire résistante. En l’occurrence, Le Doudou méchant, de Claude Ponti.
En classe, on se constitue un patrimoine commun
Énergivore pour l’enseignant, qui doit rebondir sur les propositions, relancer les débats, rappeler les consignes, le cercle de lecture stimule immanquablement l’engagement des lecteurs. Passée la mise en train, aucun étudiant n’est resté sur la touche !
Au final, les étudiants disent avoir mieux compris les enjeux : leurs interprétations de l’album sont enrichies, le choix d’une œuvre résistante parait évident, et le travail en petits groupes profite à la classe. Mais pour mener un cercle de lecture, les futurs enseignants ont compris qu’ils doivent eux-mêmes dépasser leur première impression de lecture, ce qui suppose un regard étayé par des connaissances.
« L’école est un lieu où l’on partage un héritage culturel. En classe, on se constitue un patrimoine commun. Maintenant, quand on parlera du Doudou méchant, on ne le verra plus de la même façon », estime Mme Montilla, espérant susciter chez ses étudiants cette démarche de questionnement permanent. « C’est une question de rapport au savoir, mais aussi de maitrise du métalangage, pour pouvoir mettre des mots sur ses procédures, sur ses choix didactiques. Il faut pouvoir maitriserune trentaine de concepts à fond ! Pour le reste, des étudiants moyens sont devenus d’excellents instituteurs, et de brillants élèves peuvent être de piètres professeurs… »
D. C.
(1) Pour en savoir plus, on pourra lire Les cercles de lecture. Interagir pour développer ensemble des compétences de lecteur, par A. Lafontaine, S. Terwagne, S. Vanhulle, Bruxelles, éd. De Boeck, coll. Outils pour enseigner, 3e éd., 2006.
La vérité vient des stages
Pour Serge Terwagne, maitre-assistant au Département pédagogique de la Haute école Albert Jacquard, mais aussi président de l’Association belge pour la lecture, section francophone (1), « l’approche intégrée demande des compétences bien plus importantes que celles qui sont demandées pour l’application d’une méthode traditionnelle. Le maitre ne peut plus se contenter de suivre un chemin tout tracé, il doit sans cesse réfléchir, infléchir, moduler ses pratiques ». Or, selon lui, la dernière réforme de la formation ne permet pas d’y intégrer ces nouvelles exigences…
Au moins pourrait-on harmoniser la formation ? « L’idée n’est pas neuve… Entre 1989 et 1993, une recherche-action (2) a été menée dont le but explicite était de parvenir à un consensus dans la formation initiale et continuée. La tâche était d’autant plus ambitieuse qu’à l’époque, on ne se faisait guère d’illusion sur un supposé consensus sur une approche intégrée code-sens… »
La solution ? « Il est crucial de permettre aux départements pédagogiques de former les maitres de stage, ce qui permettrait d’augmenter considérablement la cohérence de toute la formation ». Car actuellement, « en l’absence de véritable consensus, les futurs maitres se fient aux pratiques vécues sur le terrain. Où l’idée qu’apprendre à lire, c’est d’abord apprendre à déchiffrer, est partagée par une majorité écrasante de la population, une quantité non négligeable d’enseignants, et même diverses écoles de chercheurs ».
« Les futurs maitres connaissent ces débats. Devant une telle absence de vérité absolue, ils ne se fient qu’à ce qu’ils ont vécu ou vont vivre sur le terrain… Ce qu’ils vivent en stage devient bien plus déterminant que des dizaines d’heures théoriques. Or, les départements pédagogiques ne peuvent, pour l’heure, se payer le luxe de trier sur le volet leurs maitres* de stage selon le critère de fidélité au programme… Nombreux sont donc les futurs maitres qui mettent assez vite sous le boisseau les recommandations reçues lors de leur formation pour adopter les bonnes vieilles méthodes… »
D. C.
(1) http://www.ablf.be
(2) Formation des maîtres à l’apprentissage de la lecture, rapport d’une recherche-action menée par le Service de Pédagogie expérimentale de l’Université de Liège, sous la direction du Pr Marcel Crahay, dans Informations pédagogiques, n°4, mars 1993.
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