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Magazine PROF n°41

 

Droit de regard 

Doriane Gamme :
Le gout d’enseigner

Article publié le 03 / 04 / 2019.

Il y a dix ans, Doriane Gamme, qui débutait sa carrière, était le premier témoin de notre rubrique « L’Acteur ». Dix ans après, quel regard porte-t-elle sur l’enseignement?

Férue de théâtre, Doriane Gamme enseigne le français et déborde d’énergie et de projets. Elle répond du tac au tac aux besoins de ses élèves, parfois pédagogiques, parfois éducatifs. Et porte aussi son regard sur dix ans de réformes dans l’enseignement..

Doriane Gamme : « On apprend à nos élèves comme on apprend d’eux tous les jours ».
Doriane Gamme : « On apprend à nos élèves comme on apprend d’eux tous les jours ».
© PROF/FWB

PROF : Quel est votre parcours professionnel ?
Doriane Gamme : J’ai commencé au CEFA de l’Institut Sainte-Thérèse, à Manage. J’y enseigne toujours. Je donne le cours de français dans les sections coiffure, vente et équipier logistique.

En-dehors de mes cours, j’anime des ateliers de théâtre pour les élèves de l’école, le mercredi après-midi et pendant les vacances scolaires. Nous produisons un spectacle par an et c’est très gratifiant.

Vous avez été tentée par un master en psychopédagogie ?
J’ai commencé cette formation. Elle s’ajoutait à mes fonctions, mes loisirs et ma vie de famille – j’ai deux enfants. J’ai tenu six mois. C’était devenu très compliqué de gérer mon planning. Peut-être un jour, je recommencerai.

Transmettre des compétences diverses

Vous avez conservé votre enthousiasme ?
Je travaille toujours avec le même état d’esprit qu’il y a dix ans. Je suis très active et pleine de projets. On m’appelle Duracell. Selon moi, si un enseignant n’est pas motivé et ne montre pas sa motivation dans sa façon d’enseigner, dans les projets qu’il mène, à un moment, cela va coincer avec ses élèves.

Parfois, j’ai des moments de découragement par rapport au niveau de certains d’entre eux. Je trouve alors toujours de la force dans le soutien de mes collègues et dans le côté humain du métier. J’apporte à mes élèves des compétences et des savoirs, mais la plupart ont besoin d’autre chose. Ils peuvent ne pas avoir retenu la conjugaison de tel ou tel verbe au subjonctif présent, mais avoir retenu le sens d’un projet auquel ils ont participé. 

En quelques années, mon regard sur l’enseignement a changé parce que j’ai réalisé que certaines connaissances qui nous paraissent simples peuvent supposer un effort de mise en place de mécanismes important de la part de l’élève. Cette prise de conscience a été renforcée quand j’ai vu mon propre enfant confronté à des difficultés scolaires. Après une année avec une institutrice maternelle pleine de projets, il a eu une enseignante moins motivée, et je l’ai vu se replier sur lui-même. J’ai moi-même connu l’échec dans ma scolarité. Je l’ai surmonté, mais il m’a marquée. 

Futures réformes : des sentiments mitigés 

Quel regard portez-vous sur les réformes prévues par le Pacte pour un Enseignement d’excellence ? 
Je trouve l’allongement du tronc commun dangereux parce qu’on se trouvera avec des élèves pour qui tout roule, entre guillemets, et d’autres qui ont de réelles difficultés scolaires. J’ai peur que ces derniers se sentent perdus dans la masse et qu’ils décrochent, alors qu’en classes différenciées, on a l’avantage de travailler avec 12-13 élèves.
 
Je m’interroge aussi sur le sens qu’a la nouvelle grille des CEFA : on retire des heures de pratique pour renforcer les cours généraux. Cela ne colle pas avec le public. Mais on fera avec.

On nous promet des classes plus inclusives, avec plus de moyens. Mais quand je vois qu’aujourd’hui, on doit calculer pour les horaires, pour le Nombre Total de Périodes Professeurs, qu’on ne peut pas organiser d’heures de coordination ou alors bénévolement (2), j’ai du mal à y croire.

Et le plan de pilotage ?
J’y ai travaillé un peu. C’est très positif. Et je pense que l’on doit aller plus loin dans la participation des élèves et des parents. Lorsqu’on réfléchit avec eux à un nouveau règlement scolaire, par exemple, cela donne de meilleurs résultats que si on leur en impose un nouveau. Plus il y a des difficultés sociales et économiques, plus on doit collaborer, plus cela va marcher.

C’est très important de travailler avec la réalité du terrain et de valoriser le travail et les productions des élèves – c’est aussi mon avis en tant que maman. « Difficile de les impliquer ? » me direz-vous. Mais on ne leur a pas assez laissé la parole. Je suis une grande optimiste. Les choses peuvent changer.

Le renforcement du maternel ?
C’est important. Les parents doivent comprendre que ça l’est. Cela doit se traduire par une bonne fréquentation de l’enfant. Par ailleurs, il est important de revoir la façon dont on enseigne en maternelle. On ne doit pas hésiter à faire aussi l’école du dehors, jardiner des légumes, compter des marrons en automne… Quand, une fois par mois, un parent ou un grand-parent vient expliquer son métier, cela amène une dynamique très positive.

La réforme de la formation initiale ?
J’ai été bien formée en trois ans. Je ne vois pas pourquoi il faut l’allonger. J’ai adoré le côté pratique de la haute école. Mais elle ne suffit pas. L’enseignant doit trouver en lui matière à s’impliquer davantage, dans la recherche, dans la pédagogie. Il doit rester curieux, avoir soif de découvrir. Plein d’outils existent. Il faut savoir comment ils marchent. La récompense, l’émulation, le jeu, le théâtre marchent à fond. Certains enseignants n’ont plus le gout d’apprendre eux-mêmes. C’est un peu dérangeant.

La réforme du qualifiant ?
Certains de mes collègues sont fâchés du passage automatique de classe. Et je trouve que calquer le programme des cours généraux du professionnel sur le qualifiant est en décalage par rapport à la réalité du public.

L’accueil des jeunes collègues ?
Je suis pour à 300 %. Une marraine m’a très bien accueillie dans mon école. De plus, nous avons réalisé un vadémécum sur les questions que se pose un débutant. Mais l’accueil n’est plus systématique chez nous. Il se fait naturellement, car l’équipe est très soudée. Et les élèves le sentent.

Que dire à un candidat enseignant ?
Fonce ! Parfois c’est difficile, mais on reçoit tellement de la part de ses élèves. Il faut être entier, vrai, savoir reconnaitre ses faiblesses et ses forces et travailler en équipe. La collaboration entre enseignants est primordiale. Je ne pourrais pas faire mon métier sans eux. On se complète.

Lisez-vous le magazine PROF ?
Je picore certains articles. Parfois, je souris ou je grince. J’apprécie d’avoir des dossiers et des conseils. C’est une référence qui reste dans la salle des profs. Sa présentation est dynamique.

Propos recueillis par
Monica GLINEUR et Patrick DELMÉE

(1) http://www.enseignement.be/index.php?page=27203&id=65
(2) Un décret du 14 mars dernier a redéfini la charge de travail des enseignants, notamment pour permettre la prise en considération du travail collaboratif. 
http://www.ejustice.just.fgov.be/cgi/api2.pl?lg=fr&pd=2019-03-27&numac=2019011352

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