Magazine PROF n°42
Dossier Jeux vidéo & pédagogie
Créer un récit ou un jeu vidéo :
même combat ?
Article publié le 07 / 06 / 2019.
L’écriture d’un jeu vidéo est à la portée d’une classe. C’est le défi que se sont lancés deux enseignants, l’un en français, l’autre en informatique.
Le 26 avril dernier, les élèves de la 3e technique de transition informatique du Collège technique Saint-Jean, à Wavre, terminent de préparer un local area network (lan), un réseau informatique local, sur lequel ils passeront la prochaine journée de cohésion organisée par l’école à jouer sur leurs ordinateurs. De vrais geeks : au sport, ils préfèrent Mortal Kombat, Rocket League ou Fifa 18.
Une fois la discussion terminée, ils se mettent au travail. En informatique, ils créent leur propre jeu vidéo via la programmation d’éléments décidés au cours de français : personnages, décors, quêtes, actions… Ce projet, mené par Anne-Marie Thoma en français, Mathieu Vanbockstael en informatique, est accompagné par deux chercheuses de l’UNamur, Anne-Sophie Collard et Carole Delforge.
PROF : Quelles circonstances ont permis ce projet ?
Anne-Marie Thoma : Une de mes amies, Anne-Sophie Collard, m’a demandé, à moi et à deux de mes collègues techniciens, de répondre à une enquête sur la transposition dans l’enseignement d’Artoquest, jeu vidéo en ligne créé dans un atelier associatif mené par Yves Hurel, de l’ULg (1).
Dans la foulée, en septembre dernier, Anne-Sophie m’a invitée à expérimenter en classe la création d’un jeu vidéo avec Mathieu.
Mathieu Vanbockstael : Un des chapitres du programme du cours d’informatique est « la gestion d’un projet » (2). Depuis 5-6 ans, lors du choix du projet, les élèves se prononcent pour la réalisation d’un jeu vidéo.
Et en français ?
A.-M. T. : Dans le nouveau programme de français 2e degré Humanités générales et technologiques (3), l’unité d’acquis d’apprentissage « S’inscrire dans une œuvre culturelle » invite à transposer, recomposer ou amplifier une œuvre.
Notre projet vise à transposer un processus de création littéraire à celui de la création d’un objet multimédia. Par ailleurs, le programme invite à intégrer davantage ce type d’objets ainsi que l’éducation aux médias.
Pour vous, le jeu vidéo est une œuvre culturelle ?
A.-M. T. : Mon collègue et moi, nous sommes des « users » de la Game Boy et nos élèves sont plantés non-stop devant les jeux vidéo. Autant travailler un objet qui a du sens pour eux. Mais est-ce de la culture ? Je vous renvoie à l’introduction du guide Éducation aux médias & jeux vidéo : « En moins de trente ans, le jeu vidéo s’est imposé tant comme une industrie lucrative que comme objet culturel dont l’importance ne cesse de croitre. Longtemps perçu comme une curiosité spécifique à une niche de pratiquants, sa diffusion planétaire et sa présence dans les autres médias imposent de le prendre au sérieux et de ne plus le réduire à une curiosité frivole et adolescente. » (4)
Quel est le rôle de chacun ?
A.-M. T. : Les chercheuses nous ont formés à Trello, une application en ligne de gestion du travail collaboratif. Elle fonctionne sur tous les supports informatiques. Elle permet de déterminer les étapes du projet, leur état d’avancement et de poster des fichiers partagés. Elles nous ont également aidés à clarifier le rôle de chacun et à imaginer le processus. Enfin, elles nous ont fourni des références théoriques.
Au cours de français, avons d’abord testé quelques jeux vidéo proposés par nos partenaires. Nous les avons classés à partir d’une grille trouvée sur Wikipedia (5). Et nous avons choisi d’élaborer un jeu d’aventure.
Nous avons travaillé le scénario et les quêtes, les personnages (héros, adjuvants, opposants). L’occasion de nous frotter au schéma actantiel de Greimas, un outil d’analyse et de création du récit. Et nous avons parcouru un échantillon d’articles sur le game concept, la boucle de game play, la différence entre BD et jeu-vidéo…
Ensuite, les élèves, par duos, ont imaginé des quêtes. Un débriefing en classe a permis de choisir les trois les plus cohérentes. De plus, nous nous sommes formés à Trello, pour communiquer entre nous : conserver et traiter les résultats de nos recherches ; envoyer, corriger et conserver nos productions, disponibles sur des ordinateurs et les smartphones des élèves dans les différents lieux de travail, via le wi-fi de l’école.
M. V. : En informatique, nous réalisons la programmation du scénario avec des logiciels open source : Construct pour la programmation, Audiacity pour les sons, Gimp pour le travail sur les images.
Pour ce qui est des images de personnages et des décors, le site http://www.opengameart.org dispose d’une série d’éléments libres de droits en creative commons. Notez que Construct permet de programmer sans passer par la connaissance d’un langage de programmation comme JavaScript, Java, Python… Mais il nécessite un bon sens logique et de la précision.
Vos objectifs ?
A-M. T. : Le but final reste de connaitre davantage un genre culturel en créant un objet qui en fait partie.
M. V. : Notre objectif est de réaliser un objet de A à Z, en touchant la réalité d’une entreprise de création. Le processus collaboratif est un plus.
A-M. T. : Les chercheuses participent au Consortium du Pacte pour un Enseignement d’excellence qui propose à la plateforme http://www.e-classe.be des ressources pédagogiques. Elles envisagent d’y inclure une publication sur le projet.
Quels sont les freins ?
M. V. : Les élèves n’ont pas le réflexe d’aller seuls vers les ressources de Trello. Ils sont encore jeunes. C’est une compétence qu’ils pourront acquérir dans la suite de leur cursus.
A-M. T. : D’abord, lorsque les élèves jouent à l’école, cela reste du travail scolaire. Certains élèves ont d’abord refusé d’entrer dans le projet. Ensuite, celui-ci demande beaucoup de temps, d’efforts et de coordination. Enfin, si Trello est facile à maitriser, j’ai plus de difficultés à connaitre les limites techniques imposées par les logiciels de programmation utilisés. D’où la nécessité d’une future initiation.
Les moyens nécessaires ?
A.-M. T. : Des locaux scolaires connectés munis d’un TBI suffisent. En termes de cours, 4h/semaine pendant un mois.
M. V. : Les logiciels open source sont gratuits. Nous ferons attention à respecter les demandes d’affichage de crédits. Dans le cas qui nous occupe, lorsque nous assemblerons les productions des groupes d’élèves, nous devrons prendre une licence d’une centaine d’euros : il s’agit d’un jeu d’aventure, plus complexe à réaliser qu’un jeu de plateforme où il suffit de faire coexister les productions.
Ce projet demande environ 10h d’apprentissage et 20h pour la réalisation. Nous faisons tout pour présenter le produit fini à la journée « portes ouvertes » de l’école.
Quel est le bénéfice ?
M. V. : Les élèves mettent en pratique et font évoluer leurs connaissances de différents logiciels, par rapport à un objet qui fait partie de leur vie. Ainsi, ils peuvent mieux se rendre compte de tout ce qui a en-dessous de cette réalité. Pour moi, c’est intéressant de renouveler de nouveaux défis, dans une posture où je suis davantage coach que relayeur de savoirs.
A.-M. T. : Au risque de me contredire, travailler sur un objet multimédia qui a un aspect ludique reste une motivation pour la plupart des élèves. Quant à moi, si je dois faire face à des réactions déstabilisantes d’élèves du style « On s’y connait plus que vous », je gagne ma légitimité lorsqu’ils se rendent compte que les outils de création littéraire sont plus qu’utiles pour mener à bien la réalisation d’un jeu vidéo.
(1) https://artsetpublics.be/pole/musees/news/mise-en-ligne-du-nouveau-jeu-video-artoquest
(2) http://enseignement.catholique.be/segec/index.php?doctypte=1&specialise=0&id=391&flag=1&LIBELLE_SECTEUR=INFORMATIQUE&retour=941&titre=Informatique&Rechercher=Rechercher
(3) http://enseignement.catholique.be/segec/index.php?doctypte=1&id=391&flag=1&LIBELLE_SECTEUR=FRAN%C7AIS&retour=937&titre=Fran%E7ais&Rechercher=Rechercher
(4) https://media-animation.be/Education-aux-medias-jeux-video-912.html
(5) https://fr.wikipedia.org/wiki/Genre_de_jeux_vid%C3%A9o
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