Magazine PROF n°45
Dossier Leadership partagé : le retour du collectif ?
Pierre Waaub : «C’est l’occasion d’une revalorisation du métier»
Article publié le 24 / 03 / 2020.
Pierre Waaub a pris part aux travaux préparatoires au Pacte, côté syndical, et en suit les évolutions. Il invite à s’emparer du « pouvoir d’agir » créé par les plans de pilotage.
Enseignant chargé de mission à la CGSP et au SEL-SETCa, mais aussi militant au sein de Changements pour l’Égalité, Pierre Waaub estime que plus que jamais le rôle des directions est d’impliquer les équipes.
PROF : Quel est l’enjeu, pour les directions ?
Pierre Waaub : Pour moi l’enjeu c’est que la direction comprenne qu’il y a dans son équipe des compétences à mobiliser. C’est en les valorisant et en créant du travail d’équipe autour de ça qu’on va faire en sorte qu’une équipe s’engage. Si on veut que ça change dans les pratiques, il faut impliquer l’équipe, et ça se fait plus au départ des enseignants qu’au départ de la direction.
Quelles sont les conditions de réussite ? Parce qu’il ne suffit pas de décréter les pratiques collaboratives…
Pour la première fois, il y a du pouvoir d’agir donné aux enseignants. Et il faut qu’ils s’en emparent, collectivement ! La première des conditions, c’est d’arriver à faire équipe. C’est pour ça qu’il y a besoin d’un leadership partagé, qui est en partie la responsabilité de la direction : on ne fait pas équipe par miracle.
Mais il faut qu’il y ait vraiment la place pour faire quelque chose, pour que ce soit crédible, parce que c’est du temps de travail, et pas un peu ! Ça peut marcher si les enseignants voient ce qu’ils ont à y gagner, dans leur métier.
C’est l’occasion d’une revalorisation du métier : construire ensemble des compétences professionnelles qui peuvent, dans une école d’abord, puis plus largement, devenir une culture professionnelle du métier, une référence.
Aujourd’hui, quand on demande ce qu’il faudrait faire, on ne le demande pas aux enseignants, mais à des spécialistes. Et avec raison d’une certaine façon, parce que chacun n’a que sa vision partielle, partiale de ce qu’il faudrait faire. Du coup, l’enseignant, qui exerce un métier exigeant des compétences professionnelles, n’a pas plus le droit à la parole qu’un parent, ou monsieur Lambda qui lui aussi est allé à l’école et sait ce qu’il faudrait faire…
Je pense que là - mais pas tout de suite, parce que ça se construit ensemble -, il y a une vraie possibilité de mettre en place des choses dans les écoles pour faire face aux défis qui se posent dans l’établissement…
Pourquoi créer du collectif marcherait-il mieux qu’avant ?
Parce que la vision qu’on a de ce qu’est enseigner aujourd’hui n’est plus la même. En gros, avant, un cours, c’était un prof, une matière. Maintenant - et c’est une rupture qui doit avoir lieu, je ne dis pas que c’est gagné -, l’enjeu du métier c’est de travailler ensemble à la réussite d’un groupe d’élèves.
Ce que vous dites aux collègues, c’est Allez-y !
Pour moi il y a des rapports de force à créer. On a changé les modalités, mais pas les structures de fonctionnement dans les écoles. Là où ça coince, là où il n’y a pas de place, il faut créer l’espace, et on a des points d’appui dans les décrets : les organes de concertation sociale, qui peuvent dire que les choses n’ont pas été assez concertées ; la possibilité à un moment pour le DCO de dire qu’il faut revoir les choses…
Créer ces espaces est plus difficile que vous ne le pensiez ?
Là où il y a de la méfiance, ça freine des deux côtés. Ce qui me frappe à chaque fois que j’assiste à des formations, ce sont les questions sur la façon de compter ou de contrôler les 60 périodes de travail collaboratif (NDLR : inscrites dans le décret sur la charge enseignante).
De mon point de vue, si on fait vraiment du travail collaboratif, on se rend bien vite compte que 60 périodes ne suffisent pas. Et si on en fait en comptant ses heures, ça ne sert à rien ! Donc ni les enseignants ni la direction n’ont intérêt à se lancer dans cette logique, parce qu’on va juste le faire pour être en ordre dans ses papiers…
On a intérêt à partir sur une base de confiance. Mais il faut la créer ! Et la manière de la créer, c’est de montrer qu’il y a un vrai enjeu, dont on peut vraiment s’emparer. Or on a trop l’habitude dans l’enseignement de réunions où on a beaucoup d’informations, mais pas grand-chose à dire !
Une école, depuis toujours, c’est un groupe d’enseignants, invités à travailler ensemble… Pourquoi serait-ce plus évident aujourd’hui ?
Pendant longtemps les enseignants ont dit : Vous décidez sans nous, Écoutez-nous. Et aujourd’hui, il y a l’espace pour décider ensemble, de manière systémique. Et au plus près de là où on est compétent, c’est-à-dire dans l’établissement qu’on connait, avec les élèves qu’on connait, et avec les difficultés qu’on connait. Et on a de l’autonomie pour le faire.
Le risque, c’est l’autonomie pour qui ? Ma grande crainte c’est que les plans de pilotage soient faits en fonction des stratégies des PO pour se positionner sur le marché : redorer l’image de l’école,… Si c’est ça, on va faire ce qu’on a toujours fait !
Cette ouverture, cette autonomie, c’est un risque aussi. Pour tout le monde. Pour les enseignants aussi. Ce que j’ai entendu de la part d’enseignants, c’est qu’on va leur demander de définir des stratégies à mettre en œuvre mais si ça ne marche pas on va le leur reprocher… Ce serait encore pire qu’avant !
Cette question, pour moi, est liée à celle de l’évaluation, qui est en débat actuellement. Comment va-t-on faire accepter à des enseignants de prendre des risques dans l’autocritique sur leurs pratiques, si après on peut se retrouver face à une évaluation et à des risques de sanction. Alors qu’on a pris des risques !
Aujourd’hui, il y a des possibilités d’entrer dans ce travail collaboratif, mais ce qui peut faire douter, c’est le nombre de ruptures professionnelles qui sont en jeu…
Recueilli par D. C.
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