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Magazine PROF n°49

 

CotĂ© psy 

COVID : « Excuses, reconnaissance et bienveillance »

Article publié le 26 / 03 / 2021.

Responsable clinique de l'équipe mobile pédopsychiatrique du Centre hospitalier le Domaine–ULB, à Braine-l’Alleud, le Dr Sophie Maes estime que « Tout adulte, à l’heure actuelle, se doit d’être responsable de la santé mentale de nos jeunes ».

Médecin fondateur et responsable clinique de l'équipe mobile pédopsychiatrique du Centre hospitalier le Domaine–ULB, à Braine-l’Alleud, Sophie Maes a pris le temps, malgré des services débordés et au bord de l’explosion, de répondre à nos questions. 

PROF : Pourquoi la santé mentale des jeunes est-elle plus mauvaise que celle des adultes ?

Sophie Maes : Les 13-25 ans sont en pleine construction de leur personnalité, du psychisme. Les interactions sociales ne sont pas encore pleinement développées et la grande différence entre un adulte et un adolescent, c’est que les conséquences des mesures sanitaires ont un impact direct sur la construction psychique de l’adolescent, car il se construit essentiellement à travers ses relations avec ses pairs.

La construction identitaire et la construction des capacités d’élaboration de symbolisation s’appuient  sur une dynamique de groupe, sur les relations aux autres. Les priver d’interactions sociales c’est aussi les priver de leur appareil à penser : de mettre du sens sur cette crise, sur ce qui leur arrive, et cela participe au mal-être.

Pourquoi la santé mentale des jeunes est-elle prise en compte maintenant ?

C’est une question de chiffres. Les psychiatres tirent la sonnette d’alarme : on a vu arriver en consultation, aux urgences, une vague psycho-sociale, au même titre que celle constatée dans la pathologie du COVID. Le système des soins de santé pédopsychiatrique est complètement saturé.

Ce qui nous inquiète plus particulièrement c’est que les pathologies sont beaucoup plus marquées. Avant, on prenait en charge un jeune avec des pensées suicidaires. À l’heure actuelle c’est parce qu’il est déjà passé à l’acte, parfois même de manière répétée. Malheureusement, vu la saturation des services, on ne peut apporter qu’un suivi en déambulatoire et non une hospitalisation.

Que répondre à ceux qui disent que les jeunes sont égoïstes et ne sont pas à plaindre car ils n’ont pas connu la guerre ?

C’est hélas un discours que les jeunes ont intégré : l’idée qu’ils ne sont pas en danger par rapport au Covid, mais qu’ils représentent un danger pour les autres, qu’ils se doivent de protéger leurs aînés en y sacrifiant leur vie d’aujourd’hui, leurs désirs, leur vie sociale.

Pour la plupart, ils ont intégré ce message et se sont montrés extrêmement solidaires. Ils se vivent comme étant vraiment dangereux. Ils ont tiré un trait sur leur vie sociale et sur cette pulsion de vie qui les amenait habituellement à être plus dans l’opposition, la revendication. Les jeunes d’aujourd’hui, nous apparaissent, de manière inquiétante, très soumis aux mesures prises.

Le phénomène auquel on assiste, à l’heure actuelle est un émoussement des affects, des émotions, une absence de symbolisation et de pensée. On peut parler de syndrome d’engourdissement comparable au syndrome de glissement dont sont victimes les aînés. Il s’agit d’un engourdissement de la pensée et les jeunes se retrouvent, à un certain moment, avec une perte de sens et de gout de vivre. Il s’agit d’un engourdissement psychique qui conduit à un abandon de la vie.

Heureusement, pour la majorité de ces jeunes, ce phénomène disparait assez vite quand ils reprennent une vie sociale de groupe. Mais le suivi de ces jeunes est néanmoins lent et long.

Dre Sophie Maes, pédopsychiatre au centre hospitalier Le Domaine-ULB.
Dre Sophie Maes, pédopsychiatre au centre hospitalier Le Domaine-ULB.
© PROF/FWB

Les enseignants sont peu armés devant la détresse de ces jeunes. Que peuvent-ils faire?

En effet, les profs sont peu armés. Mais il y a toute une série de collaborateurs qui ont l’habitude de travailler dans cette interface entre la santé mentale, le bien-être, la motivation et les apprentissages : CPMS, plannings familiaux, AMO, école des devoirs, éducateurs de rue… Une collaboration entre ces acteurs permettrait de faire de la prévention à la santé mentale.

Un jeune qui est dans un syndrome d’engourdissement, qui n’est plus en contact avec ses émotions, ne sait pas intégrer de nouveaux apprentissages. En plus de toutes les conséquences liées aux mesures sanitaires s’ajoute le stress lié aux apprentissages, aux évaluations certificatives. La pression mise par certains sur la matière qui ne sera pas vue participe à la décompensation du jeune (le passage « d'un état stable à une rupture d'équilibre »). 

Il y a des pistes de collaboration à réfléchir entre le monde pédagogique et le monde des intervenants extérieurs, pour pouvoir accompagner ces jeunes en organisant des groupes de parole, des activités ludiques, socialisantes en parallèle avec les apprentissages. Il faut garder ces jeunes en lien avec les apprentissages, en lien avec l’école, pour prévenir le décrochage scolaire et éviter d’accentuer les clivages sociaux. La parole qui tend à dire : « Les problèmes, tu les gardes à la maison et à l’école, tu te concentres sur les apprentissages », ça ne marche pas. On a qu’un seul psychisme et on ne sait pas le morceler en petits morceaux.

Que faut-il éviter de faire face à des jeunes en souffrance ?

Les jeunes ont vraiment besoin de paroles d’encouragement, de bienveillance, de reconnaissance par rapport au sacrifice qu’ils sont en train de faire. Tout adulte, à l’heure actuelle, se doit d’être responsable de la santé mentale de nos jeunes. Il faut faire attention aux discours que l’on tient. Il faut arrêter de les culpabiliser, les remercier et s’excuser de ce qu’on leur a fait vivre.

Combien de temps les conséquences de cette crise se répercuteront-elles sur la santé mentale des jeunes ?

Il y aura certainement une fluctuation saisonnière comme auparavant. Il y aura vraisemblablement des phobies sociales, des phobies scolaires, des troubles anxieux et comportementaux qui risquent de réapparaitre et vraisemblablement de manière plus marquée. On s’attend à un pic de prises en charge psychiatrique dans les années qui viennent.

Quels conseils donneriez-vous au monde scolaire ?

Les jeunes étant des éponges aux émotions, si les enseignants restent dans la peur des matières non vues, la pression des évaluations, l’angoisse de la performance, cela risque de nourrir les angoisses des jeunes. L’école doit s’apaiser, alors le jeune pourra reprendre son souffle et s’apaisera. Il faut que le jeune retrouve le plaisir de revenir à l’école. En ce moment, avec le syndrome d’engourdissement, ce n’est pas simple. L’école doit être créative pour créer ces moments de plaisir.

Il est essentiel aussi que les enseignants puissent partager, avoir des temps de rencontre, de paroles entre eux, mais aussi avec les parents et les parents entre eux en associant les élèves. C’est en redonnant la place au collectif que les élèves, les profs et les parents pourront ré-harmoniser l’école, et donc reprendre pied.

Propos recueillis par
Hedwige D’HOINE

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