Magazine PROF n°5
Coté psy
Foulard, tomate : quand le « jeu » tourne mal
Article publié le 01 / 03 / 2010.
Comment déchiffrer et prévenir ces comportements à risque qu’adoptent des enfants et des adolescents ? Des clés et des pistes.
Rêve bleu, jeu du foulard, du mikado, de la tomate… Derrière ces noms au parfum d’enfance, des pratiques dans lesquelles des 7-13 ans – principalement – se mettent en danger ou en agressent d’autres.
Dans les « jeux » d’évanouissement, il s’agit de bloquer l’arrivée du sang au cerveau au niveau de la gorge, ou d’empêcher la respiration en comprimant le sternum ou le thorax. Le but : provoquer, selon l’anthropologue David le Breton, « un moment de séisme sensoriel, de suffocation agréable, produisant des sensations fortes et le sentiment d’être à la hauteur ». De quoi donner à certains le désir croissant de « jouer » en solo, avec le risque que personne ne soit là pour leur porter assistance, si ça tourne mal.
Car les conséquences sont potentiellement tragiques. Une sous-oxygénation du cerveau peut mener, selon sa durée ou son intensité, à des maux de tête intenses et persistants, à des tremblements musculaires,… au coma plus ou moins profond, à une vie végétative ou à la mort. Le risque majeur n’est pas l’étranglement ou la suffocation, mais bien l’arrêt cardiaque.
Dans les « jeux » d’agression, un enfant est roué de coups, de son plein gré ou non, par ses pairs. Les victimes ? Souvent des enfants anxieux, timides ou dont les caractéristiques physiques, scolaires ou économiques sont jugées provocatrices ou suscitent la jalousie. Là, les conséquences peuvent être physiques (hématomes, fractures…), mais aussi morales (troubles du sommeil, états dépressifs…).
Se sentir vivre
Derrière ces conduites à risque pointe la recherche de nouvelles expériences, sources de plaisir, ou l’envie de tester et de dépasser les limites. Jean-Claude Fisher, psychiatre spécialiste de l’adolescence, l’assure : « Il ne s’agit pas de conduites à risque comme peuvent l’être la consommation d’alcool ou de drogue, où le jeune connait les dangers et s’y mesure volontairement. Ici, l’enfant pense qu’il contrôle le jeu mais méconnait les réactions de son corps dans ces circonstances extrêmes ».
Cette prise de risque, présente dès l’enfance, signe le besoin de grandir, de se distancer des adultes. Tout en reliant l’adolescent au temps où, protégé par les parents, l’enfant se sentait invulnérable. Tellement tentant de retrouver cette sensation-là, en prenant des risques pour se prouver que l’on contrôle la situation !
La pression du groupe
Et puis, il y a, en toile de fond, le souci de relever un défi sous la pression du groupe. Pour en faire partie, ne pas passer pour un trouillard, restaurer ou conforter l’estime de soi, se faire un territoire, fût-ce au prix de la souffrance. D’où le silence des victimes. Philippe Van Meerbeek, neuropsychiatre et psychanalyste, qualifie ces pratiques d’« ordalies sauvages » : dans un monde dépourvu de rituels et d’initiations, les jeunes réinventent ces rites de passage à l’âge adulte en dehors de tout contrôle et d’encadrement. Car le « jeu » se pratique à l’insu des adultes, l’aspect confidentiel renforçant l’esprit de caste et de clan. « Il provoque la jubilation née de la transgression d’un interdit implicite, explique David Le Breton. Le groupe de pairs joue un rôle d’incitation qui neutralise l’impact parental ».
Catherine MOREAU
Des outils
La brochure éducative Les jeux dangereux, ce n’est pas du jeu !, réalisée par l’ASBL Chousingha et envoyée aux CPMS, aux directions et aux enseignants, précise les jeux dangereux, leurs conséquences, les signes d’alerte...
http://www.chousingha.be/docs/download/Brochure_Chousingha_FR.pdf
En projet : la création, dans chaque établissement, d’une cellule de veille composée de personnes relais entre l’école, le CPMS et d’autres acteurs, formées et informées en matière de jeux dangereux, de suicide, de drogue,… Cette cellule serait le référent en matière d’information et de prévention.
Ne rien faire… tout de suite
Comment l’école peut-elle faire face ? La parole à Guy Boudrenghien, directeur du Centre PMS libre de Nivelles.
PROF : Quels conseils donner à un enseignant, à une direction d’école qui suspecte un comportement à risque?
Guy Boudrenghien : Soyons clair : en cas de danger sérieux, il faut agir selon une procédure déterminée (décrite dans le «Projet de Centre» transmis aux écoles que nous desservons). Elle est immédiatement activée par le directeur du CPMS en lien avec le Parquet et l’Aide à la Jeunesse. Mais si ces « jeux » largement diffusés via Internet et les médias sont une mode, les cas nécessitant une intervention urgente sont rares. Aux enseignants et aux directions, je dirais : empressez-vous de ne rien faire… tout de suite. Car en agissant dans la précipitation, on risque de dramatiser. Rien de pire que de voir derrière un élève une victime ou un agresseur potentiels plutôt qu’un être humain devant prendre des risques pour grandir.
Une seule voie : ne pas rester seul avec son inquiétude, mais en parler avec une personne de confiance, comme un collègue, la direction, le CPMS... Puis chaque établissement construira, après analyse de la situation par la direction et le CPMS, une stratégie adaptée, en repérant la bonne personne, en s’appuyant sur le tissu social.
En outre, on évitera toute intervention ponctuelle, vide de sens et d’efficacité si elle n’est pas insérée dans un continuum « remédiation–prévention ». Par exemple, la direction reprécisera ce qui est interdit et doit être sanctionné, tandis qu’un autre acteur (CPMS, centre de promotion de la santé à l’école, centre de planning familial, équipes mobiles…) proposera une animation dans le cadre d’une éducation plus globale et suivie à la santé et à la vie relationnelle, affective et sexuelle.
Comment en parler aux enfants ou aux adolescents ?
Il faut prendre le temps de comprendre ensemble les besoins sous jacents dans ces comportements. Puis dissocier ces besoins – positifs – de leurs manifestations qui, elles, peuvent être négatives car dangereuses. L’enseignant doit être lui-même bien documenté au sujet de ces jeux. Et, bien sûr, ne pas devancer les questions des élèves. Donner le mode d’emploi ou décrire la sensation de bien-être que peut provoquer le jeu peut être davantage incitatif que préventif.
Et aux parents ?
C’est la même démarche. Les encourager à exprimer leur inquiétude, leur suggérer de garder le juste équilibre entre d’une part une attention, une surveillance discrète vis-à-vis de ce que vit l’enfant, et d’autre part le respect de son intimité et de son désir d’autonomie. Les tenir au courant des initiatives prises dans l’école. Et, si nécessaire, les convier à une réunion avec des interlocuteurs adéquats. Surtout, pas de grande campagne ou de mouvement de masse !
Propos recueillis par
Catherine MOREAU
Pour en savoir plus
• DEBROT V., « Le jeu du foulard, une conduite à risques adolescente » dans Cahiers pédagogiques, Université de Neuchâtel, sciences de l’éducation, n°62, 2004. http://www.jeudufoulard.com.
• HACHET P., Adolescence et risques, éd. Yapaka.be, coll. « Temps d’arrêt », 2009. http://www.yapaka.be/files/publication/TA-adolescence_web.pdf.
• Coll., sous la direction de JEFFRE D., LE BRETON D. et JOSY LÉVY J., Jeunesse à risque. Rite et passage, Québec, Presses de l’Université Laval, 2005.
• HAYEZ J.-Y., Accompagner les adolescents auteurs d’activités à risque, consulté le 8 mars https://www.jeanyveshayez.net/risques-conduites-a-risque-activites-a-risque/240-3-1-25-1-activites-a-risque-chez-les-adolescents.
• LE BRETON D., Conduites à risques, Paris, PUF, coll. « Quadrige », 2006.
• PERETTI–WATEL P., « Les conduites à risque des jeunes : Défi, myopie ou déni ? » dans Agora débats/jeunesse, 2002, n°27, pp.16-33.
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