Magazine PROF n°54
Coté psy
Le cerveau se reconfigure au cours des apprentissages
Article publié le 03 / 06 / 2022.
Directeur de recherches au CNRS, professeur à l’Université de Paris-Descartes, expert en psychologie du développement et en neurosciences cognitives, Grégoire Borst vulgarise ces domaines complexes.
Entre deux conférences organisées au sein de l’UMons, le Professeur Grégoire Borst (1) a répondu à nos questions sur ce que les neurosciences apprennent aux enseignants pour mieux comprendre les démarches d’apprentissage et lutter contre les inégalités.
PROF : C’est quoi, les neurosciences ?
Grégoire Borst : Il s’agit de toutes les sciences qui s’intéressent à la compréhension du fonctionnement du cerveau du point de vue moléculaire, mais aussi de manière plus précise en neuro-cognition et éducation.
Les nouvelles techniques d’imagerie médicale permettent de mieux comprendre comment le cerveau intervient dans les apprentissages, comment il soutient les différents processus cognitifs et socio-émotionnels impliqués dans les apprentissages des enfants et des adolescents.
Il faut sensibiliser les enseignants : le cerveau n’est pas fixé une fois pour toute comme les autres organes, mais il se transforme et évolue en permanence, tout au long de la vie. On parle de plasticité du cerveau. On sait que l’environnement, les apprentissages et le contexte permettent au cerveau d’évoluer.
Il est faux de dire que tout se joue entre 0 et 3 ans. Si tout était joué, quel serait le rôle de l’école qui débute vers 3 ans ?
Pourquoi est-il si important de comprendre les mécanismes du cerveau pour apprendre ?
Il est important que les enseignants transmettent à leurs élèves cette notion que le cerveau est plastique et qu’il peut se reconfigurer au cours des apprentissages. Cela va promouvoir un état d’esprit de changement. On n’est plus condamné à être celui qui est bon ou mauvais en ceci ou cela à tout jamais.
Ainsi, les enseignants qui ont des connaissances sur le cerveau et sur les processus impliqués dans les apprentissages mettent en place des pédagogies qui fonctionnent mieux.
La pédagogie est un art sous-tendu par des connaissances scientifiques. Par exemple que dans une progressivité pédagogique, il faut pouvoir revenir de temps en temps sur les informations, car c’est le gage que ces informations puissent être mémorisées. Le fait qu’il faut avoir une vision bienveillante des erreurs, en ayant conscience qu’une série de ces erreurs ne relèvent pas d’un manque de connaissance, mais de difficultés à les mobiliser dans un contexte particulier.
Les neurosciences ne vont pas dire quelle pédagogie utiliser sur la base du cerveau. Ce serait réducteur. Les neurosciences permettent aux enseignants de questionner leurs pédagogies et de les adapter au regard de ces nouvelles connaissances.
Comment les enseignants peuvent-ils intégrer les neurosciences dans leurs cours (2)?
On y travaille au sein de notre laboratoire de recherche, le LaPsyDÉ (3). La première réponse, dont on a déjà parlé, est que les élèves aient des connaissances sur leur cerveau et sa neuro-plasticité. Car cela a un effet sur leur rapport aux apprentissages. Ils doivent prendre conscience que les efforts et la persévérance engagés lors de l’apprentissage vont transformer leur cerveau.
La deuxième : mettre la focale sur tous les processus transversaux mobilisés pour apprendre, comme la mémoire de travail, l’inhibition, la flexibilité (changer de stratégie pour résoudre un problème).
Quels conseils donneriez-vous aux enseignants pour que leurs élèves apprennent mieux ?
Finalement, les neurosciences disent : « Attention, dans tous les apprentissages, il y a des choses très spécifiques, mais il y a aussi des processus transversaux qu’il faut pouvoir expliciter ». Par exemple, un enseignant devrait expliciter, pas seulement la situation pédagogique, mais aussi les processus que doivent engager les élèves dans ces apprentissages-là.
Être très transparent, en disant : « Tu vois, cet apprentissage-là requiert telle et telle compétence. On a travaillé dans cette situation-là, je t’ai fait travailler sur la compétence disciplinaire, mais tu as aussi, parce que j’ai créé cette situation spécifique, développé telle ou telle autre compétence. »
Enfin, ils devraient expliquer le pourquoi de ces apprentissages et discuter de ces enjeux scolaires fondamentaux. Discuter du pourquoi apprendre à lire, à écrire, à compter. Au 21e siècle, c’est encore plus compliqué car toute l’information est accessible rapidement et tout le temps. Pourquoi est-ce important d’être encore capable de calculer de mémoire, de savoir lire ?
Être capable de réfléchir, cela développe le libre-arbitre et c’est essentiel pour être des citoyens de demain, capables de prendre des décisions pour eux-mêmes et pour la société.
Toutes ces couches métacognitives, l’ensemble des pourquoi et des comment, sont un vrai levier pour la réussite éducative de tous. Le but de tout enseignant, c’est que tous les élèves réussissent.
Qu’est-ce que l’inhibition et en quoi est-elle essentielle ?
L’inhibition, c’est la maitrise de soi. Et elle est essentielle pour réussir ses apprentissages scolaires. Elle permet le développement de compétences socio-émotionnelles.
En fait, quand on apprend, on acquiert toute une série d’automatismes qui nous permettent de résoudre rapidement des problèmes. Mais l’utilisation de ces heuristiques nous amène souvent à nous tromper inconsciemment. Il faut prendre conscience de ses heuristiques pour s’en débarrasser. L’inhibition peut nous aider à cela.
L’inhibition se situe dans le cortex préfrontal, qui permet de réguler, de maitriser nos comportements, notre impulsivité, nos émotions et notre cognition. Il est le chef d’orchestre du cerveau et est très important dans le cadre des apprentissages. Il met en musique l’ensemble des autres processus cognitifs, sociaux et émotionnels qui sont engagés dans tout apprentissage.
On peut entrainer cette inhibition par des petits jeux comme 1-2-3 soleil ou Jacques a dit. Un des enjeux de la pédagogie c’est de pouvoir travailler ces fonctions du cortex préfrontal : apprendre à l’enfant à se maitriser, à réguler, à prendre conscience de l’ensemble des processus qu’il utilise dans toute situation d’apprentissage. Parce que fort de cette connaissance sur les processus qu’il utilise pendant les apprentissages, il peut aussi apprendre à apprendre.
C’est le vrai enjeu de nos pédagogies : apprendre à apprendre, à être, à penser, à développer des interactions avec les autres.
En quoi les neurosciences permettent-elles de mieux inclure ?
Elles permettent de prendre conscience de ses automatismes, de faire attention à ses heuristiques et prendre conscience aussi de ce que l’on met en place pour contourner ses difficultés. En fait, l’hétérogénéité c’est la norme. Connaitre son cerveau est la clé de départ pour chacun pour mieux apprendre et donc de mieux réussir.
Propos recueillis par
Hedwige D’HOINE
(1) Auteur notamment de Le cerveau et les apprentissages, avec Olivier Houdé (éd. Nathan, 2018). Mentionnons aussi, pour les enfants, Explore ton cerveau, des mêmes auteurs (éd. Nathan, 2019). Un livre pour adolescent sortira prochainement.
(2) Un dossier spécifique publié dans le magazine PROF N°25 intitulé Neurosciences et éducation : un dialogue en construction est accessible en ligne : www.enseignement.be/index.php?page=27203&id=1803
(3) Laboratoire de Psychologie du Développement et de l'Éducation de l'Enfant et le blog de vulgarisation scientifique tenu par les chercheurs du LaPsyDÉ
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