Magazine PROF n°55
Coté psy
« La musique adoucit les mœurs » mais pas que
Article publié le 30 / 08 / 2022.
Maurice Kanyonga-Johnson, psychologue, expert, chercheur en éducation et enseignement, a accepté de répondre à nos questions, en chantant ou presque.
Dans Les choristes de Christophe Barratier, on assiste à la transformation d’un quotidien répressif appliqué à de jeunes garçons difficiles grâce à la musique et au chant choral.Michel Sardou « apprenait mieux ses leçons en chantant », Michel Lam, dans son documentaire …et la musique filme comment l’enseignement des arts peut contribuer à l’éducation et à l’épanouissement de l’enfant.
De nombreuses études universitaires démontrent comment la musique et le chant permettent l’amélioration des compétences langagières tant à l’oral, qu’à l’écrit (1), l’apprentissage de la lecture, mais aussi de manière transversale (2) à toutes les disciplines (3). Elles démontrent également que la musique apporte un soutien aux apprentissages des élèves à besoins spécifiques (4), ou avec des difficultés comportementales (5).
PROF : Musique et apprentissage font-ils bon ménage ?
Maurice Kanyonga-Johnson : Certainement ! Pour diverses raisons.
La première est que la musique est une expression artistique qui témoigne de son époque, qui évolue dans un contexte déterminé selon ceux qui la produisent et ceux à qui elle est destinée. C’est un vecteur culturel puissant qui permet les échanges, diffuse des messages. C’est aussi une expérience sensorielle, corporelle et sociale, car la musique ça se partage. Elle permet de se rassembler, on peut la faire à plusieurs. Elle franchit toutes les barrières selon les sonorités : même si on ne comprend pas les paroles, on peut être sensibilisé.
La seconde raison est que c’est une manière originale d’enseigner, elle permet aux enseignant-es qui l’utilisent de sortir des sentiers battus, d’utiliser des canaux très éloignés des méthodes traditionnelles. La musique permet beaucoup de choses. Elle a une influence sur les individus. Elle influence l’attention, la perception. Ainsi, avec les enfants hyperactifs, elle favorise la concentration et canalise leur énergie. Elle a un pouvoir apaisant. Tout en atténuant la fatigue, elle renforce la contribution à l’effort en favorisant la production de dopamine (hormone du bonheur) en produisant des sensations positives au niveau du cerveau.
Enfin, son effet relaxant favorise le sommeil et donc la mémoire.
Pourquoi se souvient-on de chansons pendant des années et qu’on ait des difficultés pour étudier ?
La chanson fait appel à différents modes de perception, aux émotions et aux sensations. Elle crée également des images mentales que l’on conserve en mémoire. Quand on étudie, on essaie « d’enregistrer un contenu », mais cela ne mobilise pas les cinq sens comme le fait la musique.
La musique a un grand pouvoir sur l’imagination, certains artistes aussi sont des facilitateurs de mémorisation, ce qui est plus difficile à faire avec un théorème par exemple. La musique offre différents plaisirs sensoriels, elle est souvent associée à un événement où le corps intervient. Tout cela donne du plaisir et nous gardons ce plaisir en mémoire.
En fait, apprendre ne devrait jamais être contraignant, mais un plaisir. Pourquoi connait-on encore des années après des comptines apprises en maternelle ?
Parce que cela relevait d’un moment de plaisir partagé ou à des souvenirs agréables. La musique rend plaisant les apprentissages.
Comment la musique permet-elle l’augmentation des capacités cognitives ?
Comme dit précédemment, la musique fait appel à tous les sens. Elle permet d’affiner ses émotions et favorise la pensée. Tout comme la lecture sous format papier, on plonge dans une bulle qui favorise la pensée. C’est un moment où la continuité dans un temps long et le silence (sans stimuli polluants) permettent un approfondissement de celle-ci.
Il ne faut pas oublier non plus que dans une classe, certains élèves ont une intelligence rythmique musicale, une sensibilité plus développée à ce niveau. C’est une manière de différencier. Différencier ce n’est pas donner autre chose ou plus, mais donner autrement pour que chacun y trouve son compte. Ainsi, on s’adresse aussi à eux.
De même, travailler avec la musique, le rythme, permet l’interaction avec des élèves à besoins spécifiques. C’est une manière de retenir différemment, on peut mémoriser sur des rythmes. On peut aussi améliorer ses compétences en lecture par exemple, car lire c’est mettre un rythme dans les phrases et ce rythme donne du sens.
Comment et pourquoi intégrer la musique dans les cours peu importe la discipline ?
Elle permet de vulgariser les apprentissages, on peut ainsi aborder tous les sujets. C’est aussi un moyen d’accrocher, de surprendre, d’intéresser à un contenu peu importe le cours. La musique est une porte.
Y a-t-il un style de musique plus approprié ?
Non. Que ce soit la musique classique, la pop, le rap ou les musiques traditionnelles, toutes sont intéressantes et ont des rôles différents à jouer.
Le classique offre une pérennité dans le temps. C’est un éveil à la rigueur, aux normes.
La musique est une ouverture à l’autre. Par exemple, chez les Roms où la transmission des traditions est orale, la musique est essentielle. Peu importe le style, la musique est une source d’apprentissages toujours ancrée dans la culture.
Le rap est aussi très riche, mais souvent, il y a un décalage entre ce qu’en connaissent les profs et les élèves. Pourtant l’enseignant a un rôle à jouer pour éveiller l’esprit critique des élèves, mais il doit en avoir les codes. Critiquer ne veut pas dire
« casser ». Il y a des raps riches et profonds comme d’autres qui sont vides.
On peut faire beaucoup de choses avec le rap, c’est un moyen qui permet d’exprimer des sentiments, nuancer les mots, à trouver le terme juste, à réfléchir à ce que l’on dit et comment le dire. Par exemple, un de mes jeunes a comparé le texte d’un rappeur à un texte de Rimbaud : si les formes étaient différentes, le fond était semblable et était parlant pour lui.
Et faire chanter les élèves ?
C’est vraiment à favoriser le plus possible. D’abord le chant c’est gratuit et tout le monde peut le faire. C’est divertissant et c’est un moment de partage. Cela donne du plaisir et donc on apprend mieux. Sans oublier que c’est un moyen pour faire de l’inclusion, tout le monde peut chanter, accompagner en battant le rythme, en chansignant (signer les chansons), en dansant.
Et dans votre playlist pour apprendre, il y aurait quoi ?
J’écoute la playlist de Barak Obama qui va d’Elvis Presley en passant par Beyonce. J’écoute aussi une chanteuse jamaïcaine Koffee et un DJ brésilien Guugga, mais j’écoute aussi les hits actuels avec ma fille de 11 ans. C’est l’occasion de discuter, d’échanger, la musique c’est le partage.
Propos recueillis par Hedwige D’HOINE
(1). GABOURY V., LAVOIE N., LESSARD A. et BOLDUC J., « Combiner musique et écriture pour l’apprentissage de l’orthographe » in Langage et pratiques, 56, 23-32, 2015
(2) BIGAND E., « Stimulation cognitive et musique » in Neuropsychologie et art, De Boeck-Solal, Paris, 2013 p. 55-67.
(3) BOLDUC J., RONDEAU J., « Rythmons les apprentissages ! » in Langage et pratiques, 2015, 56, p. 15-22
(4) CHOBERT J., BESSON M., « Musique et dyslexie » in Neuropsychologie et art, De Boeck-Solal, Paris, 2013 p. 193-209.
(5) N. MAJERES, L'influence de la musique sur l'être humain et la gestion de la manifestation des troubles de comportement extériorisés en classe, mémoire présenté à la Faculté d'éducation de Sherbrooke, 1999
Chanter en classe ?
Marion Gilson-Delepierre est institutrice et professeure d’adaptation à l’école primaire Dachsbeck (Bruxelles).
PROF : Pourquoi faites-vous chanter vos élèves ?
Marion Gilson-Delepierre : Parce que c’est une passion pour moi ! Mais surtout, pour contribuer au bien-être de l’enfant à
l’école : quel bonheur de chanter devant et avec d’autres camarades. Pour l’épanouissement personnel. D’ailleurs, je commence toujours par une séance de yoga. Mais aussi avec une visée pédagogique comme inventer un nouveau couplet en respectant la reprise des rimes, développer le vocabulaire : scientifique, comme les parties du corps dans « Père Mathurin » de Christian Merveille.
Quels bénéfices en retirent-ils ?
C’est l’occasion de donner confiance aux enfants qui n’ont pas toujours la possibilité de « briller » dans d’autres cours. C’est aussi la découverte d’un univers parfois inconnu à la maison et, par-là, une porte vers l’académie et, peut-être, vers une vocation. Je termine toujours ma séance par l’écoute et une proposition de danse, de chants et de musiques du monde afin d’encourager l’ouverture aux autres cultures.
Comment utilisez-vous la musique ?
Parfois en fond musical, pour apaiser le climat de la classe, pour enrichir une activité en arts plastiques. Pour travailler le sens du rythme (utile en mathématiques). Nous avons aussi la chance d’être à deux pas du M.I.M et l’apport d’intervenants extérieurs, comme la cellule pédagogique de la Monnaie et les Jeunesses musicales, nous est très précieux. Malheureusement, je constate que la pratique du chant dans certaines écoles primaires et secondaires reste occasionnelle.
Moteur de recherche
Tous les dossiers
Retrouvez également tous les dossiers de PROF regroupés en une seule page !