Magazine PROF n°58
L'info
Le jeu vidéo, un bijou de pédagogie ?
Article publié le 16 / 06 / 2023.
Bien que marginale, l’utilisation du jeu vidéo comme outil d’apprentissage se développe. Ses bienfaits sont démontrés mais son introduction en classe ne doit pas être prise à la légère.
« Allumez vos sessions. Pour entrer dans le monde, le mot de passe est : pomme, Alex, cookie et pioche », annonce David Nyssen. Une entrée en matière incompréhensible pour le commun des mortels, un signal qui remplit la classe d’excitation. Les élèves de 3e et de 4e secondaire de l’option secrétariat, tourisme et bureautique s’apprêtent à plonger dans Minecraft Education, la version éducative du célèbre jeu vidéo au design pixélisé.
Depuis novembre 2022, David Nyssen, professeur de bureautique et informatique au Collège Sainte-Croix et Notre-Dame de Hannut, a recours à ce support inhabituel. « Je n’utilise pas Minecraft à tous les cours, même si les élèves aimeraient bien, s’amuse-t-il. Une fois toutes les deux ou trois semaines, je leur propose une déconnexion. C’est une bouffée d’oxygène dans le cadre du cours. »
Une méthode qui fait ses preuves
Une bouffée d’oxygène mais pas que. David Nyssen compte bien transmettre des connaissances à travers ce moment peu conventionnel. Ses élèves évoluent dans un monde dédié au cyberharcèlement et à la cybersécurité. « À travers des énigmes, ils vont apprendre et acquérir les bons gestes numériques du quotidien : trouver un bon mot de passe pour sécuriser les réseaux sociaux, repérer les malwares (logiciels malveillants) et les arnaques sur Internet. »
La majorité des adolescents connaissent bien Minecraft. Certains ont grandi avec. Ils ont bien conscience que s’en emparer dans une approche pédagogique est une opportunité rare qu’ils prennent au sérieux. « Personnellement, je connaissais déjà les risques d’Internet mais c’est une dose de rappel. Le jeu nous plonge dans une situation où une fille est harcelée. Ça nous touche et ça nous rappelle les dangers », explique Maureen, élève de 4e secondaire.
Le jeu vidéo comme outil d’apprentissage a de nombreuses vertus sur la motivation, la concentration, l’engagement, la créativité et la collaboration. On est loin du cliché du jeune enfermé dans sa chambre, les rideaux tirés, seul face à son écran. Ici, on s’entraide en classe. Cette approche augmente également les performances. « En méthode traditionnelle, un élève retient plus ou moins 17 % de la formation des professeurs. Grâce au jeu vidéo, on arrive à près de 40 % », affirme David Nyssen. En effet, de nombreuses études démontrent que prendre une part active dans ses apprentissages renforce la mémoire.
« On peut récupérer des élèves en décrochage scolaire ou qui ne se retrouvent plus dans la méthode traditionnelle d’enseignement. Amener le jeu vidéo peut vraiment leur permettre de raccrocher au système scolaire et de renouer avec le principe de la réussite et de la confiance en soi », insiste l’enseignant.
Le jeu vidéo s’est aussi frayé un chemin dans l’enseignement supérieur. François Hardy, maitre-assistant à la Haute École Charlemagne, forme les futurs enseignants du secondaire inférieur en histoire. Pour aborder la Préhistoire, l’Égypte antique ou encore le Moyen-Âge, ce ne sont pas moins de sept jeux vidéo qu’il utilise dont trois de la franchise Assassin’s Creed. Mais avec modération : trois séquences de 1h30 à 3h par an. Les bienfaits de cette pratique, il les observe très concrètement : « Les étudiants savent m’expliquer la démocratie athénienne, avant non. Le jeu vidéo est pertinent pour les questions politiques ou sur l’évolution d’une ville par exemple. Cela permet de rendre concret l’abstrait. Je perçois qu’ils comprennent mieux ».
Le rôle indispensable de l’enseignant
L’avantage de Minecraft version éducation, c’est son environnement sécurisé. L’enseignant est le maitre du jeu et paramètre le monde virtuel. « On peut empêcher les élèves de s’entretuer ou de détruire les constructions de leurs camarades », explique David Nyssen. De quoi atténuer les éventuelles craintes de violence. Un boulet que traine encore le jeu vidéo malgré sa diversité.
« Le rôle de l'enseignant est essentiel, affirme François Hardy. Ce n’est pas le jeu vidéo qui enseigne mais l’enseignant qui baigne sa classe dans le jeu pour en retirer des connaissances. » Le travail en amont est primordial. Il faut notamment confronter les informations présentes dans le jeu avec des documents scientifiques.
« C'est très chronophage et ça demande beaucoup de réflexion », ajoute Amélie Jacquemin, professeure en entrepreneuriat à l’UCLouvain. Avec sa collègue Julie Hermans, elles proposent depuis cinq ans une séance de jeu vidéo pour aiguiser l’empathie de leurs étudiants en master. « Pour lancer son entreprise, un des facteurs de succès est d’être en empathie avec son client. Il faut être dans la tête du client pour lui adresser un besoin réel et non un besoin qu’on croit que le client a. » Pour développer cette faculté, les futurs entrepreneurs se mettent virtuellement dans la peau d’un migrant, d’un schizophrène ou d’une malvoyante et expérimentent ainsi les difficultés auxquelles ces personnes sont confrontées.
L’enseignant, dans son travail de préparation, doit être particulièrement attentif à un aspect du jeu vidéo : le classement PEGI (Pan European Game Information). Il indique la catégorie d'âge à laquelle est destiné un jeu vidéo et le type de contenu. Certains jeux sont interdits aux moins de 18 ans. Pas très approprié pour des élèves de primaire ou secondaire.
« Il faut bien expliquer aux parents et aux directions qu’on évite tous les passages qui justifient ce classement PEGI », note François Hardy. Autrement dit, les scènes de violence, de sexualité ou de jeux d’argent seront censurées. Dans le contexte de son cours, le maitre-assistant à la Haute École Charlemagne doit aussi être vigilant à la qualité des reconstitutions. « Elles ne doivent pas être trop déconnectées de la réalité historique. Sinon on va donner des fausses représentations aux élèves et ce n’est pas le but. »
Jeu vidéo et programme scolaire
Le jeu vidéo n’est pas une fin en soi. Il doit servir des objectifs pédagogiques. « Il ne faut pas imaginer que c'est un outil magique grâce auquel les étudiants vont être beaucoup plus compétents. Ce n’est qu’un outil parmi d'autres », insiste Amélie Jacquemin. Dans son cas, il aura fallu une année de réflexion avec un expert du jeu vidéo de l’asbl FOr'J.
À Hannut, après avoir défini les compétences qu’il souhaitait développer, David Nyssen s’est adressé à la Minecraft Education Academy de Mons. Elle propose des ateliers gratuits pour tous les enseignants en Fédération Wallonie-Bruxelles. En collaboration avec la société AtAllNetwork de Namur, elle offre également la possibilité d’accompagner les enseignants en classe.
Mais les cours dispensés à l’aide du jeu vidéo correspondent-ils aux programmes actuels ? C’est un oui sans hésitation pour François Hardy. « Certaines leçons seront transposables aux nouveaux référentiels. Certains sujets vont passer à la trappe mais en même temps les jeux vont aussi vieillir », explique-t-il.
David Nyssen concède que Minecraft ne rentre pas véritablement dans son programme. Du moins pour le moment. « Dans le cadre du cours de deuxième année, avec le tronc commun, on va devoir éduquer les élèves à l’usage de différents outils numériques. Et là, on rentre pile-poil dans le virage numérique vers lequel l’enseignement tend. J’ai donc pris un petit peu d’avance », précise-t-il.
Face au succès de son approche, le professeur de bureautique prévoit d’introduire prochainement Minecraft Education auprès de ses élèves de 2e secondaire. Petit à petit, le jeu vidéo fait son nid.
Loïs DENIS
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