Magazine PROF n°9
Coté psy
Quand ça coince en ÉCRITURE
Article publié le 01 / 03 / 2011.
À quel âge un enfant doit-t-il maitriser le geste d’écrire? Et quels signes permettent d’appréhender des difficultés ?
Des graphothérapeutes le soulignent : beaucoup d’enfants peinent à écrire correctement et ne comprennent pas le sens de cet apprentissage. Faut-il s’en inquiéter ? Rencontre avec Marie Claire Nyssen, licenciée en sciences de l’éducation, qui a travaillé avec des équipes d’enseignants du cycle 5-8 et en formation initiale, notamment sur l’apprentissage de l’écriture.
PROF : Comment évolue l’enfant sur le plan du geste graphique ?
Marie-Claire Nyssen : Selon la psychologue Liliane Lurçat (1), entre 1 et 4 ans, l’enfant s’intéresse peu à peu à la trace qu’il laisse sur un support. Ses mouvements deviennent plus habiles et les courbes plus complexes, parce que l’origine du mouvement passe de la rotation du bras autour de l’épaule à celle de la main autour du poignet.
En outre, l’enfant donne peu à peu un but à ses traces (vouloir écrire son prénom tout seul,…), les interprète et différencie dessin et écriture (par des tracés imitant l’écriture des adultes). Un pas est franchi quand l’enfant contrôle visuellement des tracés de plus en plus complexes. Entre 4 et 5 ans, il y a encore conflit entre le mouvement et la forme, ce qui peut produire des lettres déformées, de grande taille. Entre 5 et 6 ans, il parvient à reproduire correctement toutes les lettres, mais un nouveau conflit peut surgir entre la forme et la trajectoire (M est écrit W,…). Et vers 6 ans, il deviendra capable de respecter le sens de parcours des lettres et la trajectoire de l’écriture.
Ce qui ne signifie pas que tout soit acquis à l’entrée en 1re primaire…
Certainement pas. Le neuropsychiatre Juan De Ajuriaguerra distingue trois étapes de durée variable selon le développement moteur de l’enfant et le contexte scolaire (2). Jusqu’à 8-9 ans, à cause de ses difficultés motrices, l’enfant peine à respecter les normes calligraphiques. Ce n’est qu’entre 10 et 12 ans qu’il maitrise la tenue et le guidage du crayon ou stylo et que l’écriture, alors, s’assouplit et se régularise. Deux facteurs l’influenceront encore : l’exigence de vitesse (qui modifie la forme des lettres) et la recherche, par l’adolescent, d’un style personnel.
Faut-il privilégier des activités graphiques pour les plus grands de maternelle, (tracer des verticales, des boucles,…) pour faire maitriser le geste graphique ?
Ces activités peuvent aider à discipliner le geste, à éduquer le regard, à mieux tenir l’outil, à respecter une consigne… Il ne s’agit pas d’une activité de langage écrit : ce sont bien des compétences motrices qui sont exercées par le graphisme et il faut savoir que ces compétences ne seront pas automatiquement transférées dans des situations d’écriture. Écrire au sens de « produire de l’écrit » nécessite la compréhension du fonctionnement du système d’écriture.
Écrire, c’est reproduire des formes graphiques arbitraires qui s’organisent selon les règles de l’espace de la page et celles du système de codage propre à la langue écrite. Et c’est surtout communiquer, produire du sens. On doit faire saisir à l’enfant les fonctions de l’écrit sous de multiples formes (livres, affiches, BD, dictionnaire,…). Et lui montrer qu’il peut en produire ou, dans un premier temps, participer à la production sous la forme, par exemple, d’une dictée à l’adulte à partir d’une anecdote, d’un dessin, d’une activité,… Proposer l’étude du tracé des lettres directement à partir d’un écrit qui a du sens aux yeux des enfants nous semble vraiment plus judicieux.
Cursive, scripte, imprimé majuscule ? Quel type d’écriture faut-il utiliser ?
Ce qui importe, c’est la cohérence du choix, surtout en début d’apprentissage, dans les activités de la classe et, idéalement, au sein du cycle. Privilégier la scripte en début de maternelle se justifie étant donné le nombre d’écrits de la vie quotidienne présentés sous cette forme. Il est cependant important d’envisager de présenter parallèlement les autres types d’écriture sur certains référents comme les prénoms, le calendrier. On peut aussi varier la typographie dans les activités et les jeux et proposer à l’enfant la transcription en cursive de courts messages porteurs de sens lorsque l’enfant y est prêt.
Comment repérer les signes qui demandent une aide spécifique ?
L’école maternelle, même en 3e, n’est pas le lieu d’apprentissage formel systématique de l’écriture, mais celui où l’enfant acquiert l’habilité manuelle, le geste graphique, entre en contact avec la culture de l’écrit et développe des démarches de scripteur. Il faut l’observer dans la durée, accompagner ses gestes et ne s’inquiéter que lorsque de mauvaises habitudes persistent (une écriture illisible, en miroir ou à l’envers en primaire, par exemple) et, surtout, quand l’enfant en souffre (il refuse d’écrire, se plaint de douleurs au poignet,…). L’apprentissage de l’écriture, comme celui de la lecture, est un long processus. Pas toujours linéaire.
Propos recueillis par
Catherine MOREAU
(1) LURCAT L., « Le graphisme et l’écriture chez l’enfant », dans Revue française de pédagogie, 65, octobre-novembre 1983, pp.7-18, téléchargeable sur http://bit.ly/eLiPU1 https://www.persee.fr/doc/rfp_0556-7807_1983_num_65_1_1598
(2) De AJURIGUERRA J. et al., L’écriture de l’enfant I. L’évolution de l’écriture et ses difficultés, Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 1964.
Tout passe par le corps
Anne de Gomrée, institutrice-directrice à l’École maternelle libre Notre-Dame, à Cortil-Noirmont, l’explique : « Nos élèves apprennent progressivement à maitriser des tracés en travaillant formes et mouvements par les sens ; nous varions l’intensité du geste en utilisant divers supports et outils ».
Les 35 enfants abordent ainsi la ligne (droite, courbe ou brisée) en l’observant, en la touchant, en la nommant à partir d’objets apportés en classe. En promenade, ils en impriment la trace dans le sol, dessinent les empreintes des troncs,… En classe, ils reproduisent les lignes avec des matériaux de construction (cordes, fil de fer,…), les tracent dans la terre glaise ou sur un chevalet couvert d’un mélange de peinture et de colle à tapisser, en faisant d’amples mouvements horizontaux ou verticaux pour délier l’épaule, le bras, le poignet et développer les fonctions motrices et de perception nécessaires à l’entrée dans l’écriture.
« Nous travaillons en dialogue avec la psychomotricienne qui complète ces apprentissages : elle réalise, par exemple, un parcours psychomoteur qui travaille le mouvement de vague. Les enfants franchissent les obstacles en passant par alternance au-dessus et en-dessous de ceux-ci, ajoute Mme de Gomrée. Et comme cette enseignante s’occupe d’une demi-classe à la fois, nous pouvons retravailler certains apprentissages avec des enfants qui rencontrent davantage de difficultés ».
C. M.
Un pic en troisième primaire
« Nous accueillons un nombre croissant d’enfants de tous âges, observe Sylvie Tramasure, présidente du Groupement belge des graphothérapeutes (GBGT) (1). Le signe d’un manque de motivation des enfants : à l’âge de l’ordinateur et du SMS, beaucoup ne comprennent pas l’utilité d’apprendre à écrire. S’ajoute, pour certains, un manque d’entrainement aux mouvements graphiques ou un apprentissage trop précoce de l’écriture ».
Mme Tramasure situe le pic des difficultés en 3e primaire, où l’écriture devrait être automatique et fluide. « Des problèmes divers - mauvaise préhension de l’outil graphique, posture inadéquate,… - réclament des efforts démesurés d’énergie et de concentration. Cela peut se traduire par des traits sales, des lettres mal formées ou une écriture déstructurée et s’accompagner de découragement, de pleurs ou de refus. Nous vérifions d’abord les pré-requis (schéma corporel,…) chez les enfants. Puis nous adaptons les exercices aux besoins et aux affinités de chacun : relaxation, coordination de l’oeil et de la main,… Nous revoyons les lettres en utilisant plume et encrier, pâte à modeler,… Et nous leur disons qu’ils ont droit à l’erreur ».
Pour en savoir plus
• CHAUVEL D., LAGOUEYTE I., Du geste graphique à l’écriture, Paris, Retz, coll. Pédagogie pratique, 2010.
• HINDRYCKX G., LENOIR A.-S., NYSSEN M.C., La production écrite en questions, Bruxelles, De Boeck, coll. Outils pour enseigner, 2006.
• ZERBATO POUDOU M.-Th., Apprendre à écrire de la PS (petite section) à la GS (grande section), Paris, Retz, 2007.
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