Magazine PROF n°19
Dossier Inspecteurs et conseillers pédagogiques :
différents mais complémentaires
Les uns évaluent, les autres accompagnent
Article publié le 01 / 09 / 2013.
La réforme de 2007 a clarifié leurs rôles : l’inspecteur évalue, en interréseaux ; le conseiller pédagogique accompagne, par réseau. Pourtant, en 2010, à la suite du premier rapport général de l'Inspection, l’inspecteur Pierre Sevenants écrivait : « L’Inspection essaie d’expliquer ce qu’elle est. Mais la représentation de ce qu’elle n’est pas est encore bien ancrée » (1). Cela reste en partie vrai aujourd’hui. Retour sur ces missions spécifiques…
Plusieurs facteurs expliquent qu’on puisse encore confondre les rôles des inspecteurs et des conseillers pédagogiques, dont les missions respectives ont cependant été distinguées et clarifiées en 2007 (2).
Jusqu’à cette époque, inspecteurs et conseillers pédagogiques pouvaient à la fois évaluer et accompagner. Par ailleurs, certains pouvoirs organisateurs de l’enseignement officiel subventionné, comme les Villes de Liège et de Bruxelles, ont toujours leurs inspecteurs, qui n’ont cependant pas les mêmes missions que ceux du Service général d’Inspection. Troisième facteur qui a pu semer le trouble : il était de tradition (mais pas partout) que des inspecteurs organisent des formations.
Depuis 2007, un inspecteur ne peut plus donner de formation que là où il n’exerce pas sa mission d’inspection. Et « le peu d’inspecteurs formateurs n’intervient qu’en interréseaux, explique Roger Godet, inspecteur général coordonnateur, quand l’Institut de Formation en cours de carrière (IFC) le souhaite ».
Le conseiller pédagogique peut intervenir après l’inspecteur. « L’enseignant pense souvent que je fais aussi partie du contrôle, explique la conseillère Catherine Vanderhaeghe. Avant que le courant passe, je dois prendre le temps de me présenter, d’expliquer que je ne demande à voir aucun document, que je perçois toujours mon salaire d’enseignant, que je viens du terrain… »
D’où vient-on ?
Pour comprendre la réforme de l’Inspection en 2007, jetons un œil dans le rétroviseur. À partir de 1928, des inspecteurs « généraux, principaux, cantonaux et des inspections des travaux féminins » exerçaient leurs compétences dans le fondamental subventionné (les écoles libres, communales, provinciales) qui bénéficiaient de l’aide financière de l’État.
Plus tard, un deuxième corps d’inspecteurs a été chargé de suivre (outre les écoles organisées par l’État) les sections secondaires des écoles qui, depuis le Pacte scolaire de 1959, reçoivent des subsides. La mission principale de ces fonctionnaires d’État, soumis à des examens et sélectionnés par concours, consistait à évaluer les compétences pédagogiques individuelles des enseignants, à la demande du chef d’établissement ou du pouvoir organisateur.
Pour Jacqueline Beckers, professeure en Sciences de l’éducation, « cette bizarrerie historique conduisait les mêmes personnes à jouer des rôles assez différents selon les écoles où elles se rendaient » (3). En effet, dans les écoles organisées par l’État (aujourd’hui Fédération Wallonie-Bruxelles), les inspecteurs combinaient contrôle et guidance pédagogique.
Ils vérifiaient le respect des dispositions légales (obligation scolaire, neutralité, régime des congés, titres du personnel en fonction, salubrité des locaux,…). Ils contrôlaient le niveau des études (les matières enseignées, le respect d’un horaire minimum et du programme des cours,…). Et, sur le plan pédagogique, ils rédigeaient les programmes, créaient les grilles-horaires, conseillaient des méthodes aux enseignants, organi-saient leur formation continuée. Le décret Missions, en 1997, leur a demandé aussi de vérifier la concordance entre les activités proposées aux élèves et les compétences et savoirs requis.
« Dans les écoles subventionnées par contre, liberté pédagogique oblige, ils devaient se limiter au contrôle de conformité, qui autorisait le bénéfice des subventions, explique Mme Beckers. Les fonctions de guidance y étaient assumées par des conseillers pédagogiques. Bien que parfois désignés comme inspecteurs – inspecteurs diocésains, inspecteurs de la Ville –, ceux-ci n'étaient pas certifiés par l’examen d’inspecteur et n'étaient pas fonctionnaires d’État » (4) (lire Un inspecteur peut en cacher un autre).
Cap sur le pédagogique
Le décret créant le Service général de l’Inspection, appliqué dès la rentrée 2007-2008, bouleverse la situation. Les inspecteurs, issus de tous les réseaux, travaillent de la même façon, quel que soit le réseau. Mais surtout, leur mission est modifiée.
Les vérifications administratives (contrôle de l’obligation scolaire,…) sont désormais du ressort des vérificateurs. Et les inspecteurs se concentrent d’abord sur le contrôle et l’évaluation du niveau des études, en se référant aux compétences définies comme objectifs pédagogiques (socles de compétences, savoirs requis, compétences terminales, profils de formations,…).
Au sein des écoles, ils évaluent également le respect des programmes, la cohérence des pratiques pédagogiques (notamment l’évaluation), l’adéquation du matériel didactique, le programme de formation en cours de carrière des enseignants,… Ils sont aussi chargés de détecter au sein des écoles d’éventuels mécanismes de ségrégation, et de soutenir leur suppression. Ils peuvent par exemple vérifier si les manuels utilisés reflètent la diversité des situations sociales et ne stigmatisent pas un élève pour une particularité physique, sociale, culturelle. Sur tous ces sujets, ils peuvent donner conseils et informations.
Pour prendre le pouls des écoles, les inspecteurs peuvent assister aux cours ou aux activités, interroger des élèves, examiner leurs travaux et documents (cahiers, journaux de classe,…), de même que le journal de classe et les préparations de l’enseignant (5). Et cela sur une période qui leur permet d’être les plus objectifs possible, et qui est communiquée avant la visite. Ils peuvent aussi analyser des données quantitatives : résultats des élèves aux évaluations externes non certificatives, taux d’échecs, de redoublements ou de réorientations vers d’autres établissements. Ces missions-là – quelque 3000 chaque année – constituent leur plat de résistance.
« L’évaluation est systémique, mais elle n’est pas globale », explique Roger Godet. Lorsqu’ils vont dans un établissement, les inspecteurs visent aujourd’hui un seul point de vue. Par exemple : comment apprend-on à lire ou écrire dans cette école primaire ? Prend-on en compte les difficultés des élèves ? Évalue-t-on le taux de maitrise des élèves ? Cela permet d’établir un rapport, qui constitue une image liée à un moment précis du fonctionnement de l’établissement. Mais, pour aller plus loin, l’approche peut se faire en additionnant une série de ces images, liées à des points de vue différents, accompagnés par une synthèse soulignant les éléments transversaux ou les contrastes. M. Godet : « L’Inspection de la Promotion sociale établit déjà non seulement des dias tirées du film de l’école, mais aussi un diaporama. Les inspecteurs généraux et moi avons décidé de progresser dans ce sens ».
Révolu donc, le temps de l’évaluation individuelle de l’enseignant ? Pas tout à fait : un chef d’établissement ou un pouvoir organisateur peut demander aux inspecteurs d’apprécier les aptitudes pédagogiques des membres du personnel. Ces missions-là, l’Inspection en réalise une centaine par an.
Enfin, les inspecteurs réalisent aussi des missions d’information (plus légères) ou d’enquête (plus lourdes) à la suite d’une plainte. Cela peut être celle de parents qui estiment que le programme n’est pas respecté ou que leur enfant a reçu une sanction trop lourde, par exemple. Par ailleurs, ils participent à d'autres missions liées de près ou de loin au pilotage du système éducatif (lire Facteur de pilotage).
La plupart des 277 inspecteurs travaillent sur les disciplines. Trois d’entre eux, dans le secondaire, sur tout ce qui ne les concerne pas (notamment le travail des éducateurs). Un autre petit groupe se centre sur les CPMS. Notons aussi que les inspecteurs des cours philosophiques ont un statut particulier relevant à la fois de l’Inspection et de leurs autorités religieuses spécifiques.
Dernière précision à propos des inspecteurs : en mai 2013, une première épreuve de sélection a été organisée par le SELOR. Sous réserve de la confirmation gouvernementale du nouveau cadre, les lauréats devraient entamer un stage de deux ans au terme duquel une deuxième épreuve les attend. Parmi les inspecteurs qui faisaient fonction jusqu’en juin, certains devraient regagner leur ancien poste, tandis que de nouveaux inspecteurs entreraient en fonction.
Accompagner les équipes éducatives
On ne peut être juge et partie. Si l’inspecteur évalue, le décret Inspection crée un corps de conseillers pédagogiques. Dans l’enseignement organisé par la Fédération Wallonie-Bruxelles, il s’agit du Service de conseil et de soutien pédagogique ; dans les autres réseaux, ce sont des cellules de même nature.
Quand un inspecteur constate des faiblesses ou manquements au niveau d'une classe, d'un établissement ou de plusieurs, un conseiller pédagogique est chargé de conseiller et d'accompagner les acteurs concernés. Il peut se baser sur une note rédigée par l’inspecteur et sur les résultats des épreuves externes, au besoin.
Par ailleurs, les équipes de terrain peuvent faire appel aux conseillers pédagogiques pour construire un projet d’établissement, améliorer leur formation, soutenir l’implantation des programmes et des innovations pédagogiques, accompagner des démarches pédagogiques menées par des groupes d’enseignants.
S’ils ont des missions bien distinctes, inspecteurs et conseillers ont des points communs : ils ont tous enseigné auparavant et le décret leur donne un statut qui inclut notamment une formation spécifique (Lire Un paysage contrasté).
(1) Dans CSC-Éduc (avril 2010)
(2) Décret relatif au service général de l'inspection, au service de conseil et de soutien pédagogiques de l'enseignement organisé par la Communauté française, aux cellules de conseil et de soutien pédagogiques de l'enseignement subventionné par la Communauté française et au statut des membres du personnel du service général de l'inspection et des conseillers pédagogiques, publié au Moniteur le 5 juin 2007 http://www.gallilex.cfwb.be/fr/leg_res_00.php?ncda=31929&referant=l00
(3) BECKERS J., Enseignants en Communauté française de Belgique, 2e éd., Bruxelles, De Boeck, 2008, p. 38
(4) Ibid.
(5) Les circulaires 2540 pour le secondaire ordinaire et 871 pour le fondamental ordinaire précisent de quels documents il s’agit. http://www.adm.cfwb.be
Facteur de pilotage
Pourquoi une réforme de l’Inspection? En fait, elle s’inscrit dans le processus de pilotage de l’enseignement en Fédération Wallonie-Bruxelles, qui a débuté dans la foulée du décret Missions.
Il s’agissait, à l’instar d’autres pays européens, de fixer des objectifs et des stratégies tout en mettant en valeur l’initiative et l’autonomie des écoles et des enseignants (dans la planification, la mise en œuvre de stratégiques pédagogiques, l’élaboration d’un projet d’établissement). Objectif final : plus d’efficacité et d’équité.
Depuis 25 ans, les réformes de manquent pas : formation initiale, formation en cours de carrière interréseaux, création de la Commission de Pilotage du système éducatif et du Service général du Pilotage du Système éducatif. La mise en place, depuis 2006, d’évaluations externes, participe évidement de ce processus de pilotage, qu’il s’agisse des évaluations non certificatives accompagnées de pistes didactiques communiquées directement aux écoles et enseignants concernés, ou des évaluations externes certificatives (comme le CEB, le CE1D ou le TESS).
Outre la mission d’évaluer des pratiques mises en œuvre dans des écoles et des centres PMS, les inspecteurs prennent une part active dans d’autres facettes du pilotage. Concrètement, ils participent à la création des évaluations externes et des pistes didactiques qui les entourent, notamment aux groupes de travail du CE1D (lire « Un partenariat : les groupes de travail CE1D »).
Ils accompagnent des projets interécoles comme le projet de développement des sciences Espace et Enseignement. Ils contribuent à l’évaluation de la formation initiale, à la mise en place de la Certification par unités, aux opérations Décolâge !, Dyslexia, Éducation relative à l’environnement et développement durable, à la collaboration entre enseignements ordinaire et spécialisé pour l’intégration des enfants à besoins spécifiques,… Les inspecteurs font partie de la commission qui agrée les manuels et logiciels scolaires et remettent également des avis à propos de bien d’autres sujets, comme la reconnaissance de l’expérience utile pour les enseignants de l’artistique et du qualifiant, par exemple.
L’inspection en débat
« À quoi sert l’inspection en classe ? Elle met à mal l’autonomie pédagogique. Même positive, elle stresse et donne plus de travail, notamment administratif, qui n’apporte rien à la qualité de l’enseignement… » « Les inspecteurs accordent plus d’importance à l’évaluation et à ses modalités qu’aux documents de cours... » « Les rapports et visites sont faits de façon très hétérogène… » « Les directions se servent des inspections pour faire pression sur les professeurs... » (1) Les enseignants restent – à tort ou à raison – fort critiques par rapport à la visite d’inspection en classe !
Pour l’inspecteur général coordonnateur Roger Godet, conscient du stress provoqué : « Il n’est pas possible de l’éviter : l’action pédagogique se mesure surtout en situation. Pour rendre les inspections plus homogènes, notre service a planché sur un Vadémécum. Nous les planifions et nous annonçons toujours leur but et leur nature, pour que l’école et l’enseignant puissent se préparer ».
M. Godet précise aussi que l’utilisation des rapports de l’Inspection, comme les suites à y apporter, ne relèvent pas de l’autorité des inspecteurs, mais des pouvoirs organisateurs. Et d’ajouter qu’« il n’y a aucun lien hiérarchique entre inspecteurs et conseillers pédagogiques. Mais le décret ne leur interdit évidemment pas de parler entre eux ».
(1) Réactions au premier rapport général annuel de l’Inspection, relayées par CSC-Éduc entre mars et novembre 2010.
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