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Magazine PROF n°2

 

Dossier À l’école de la citoyenneté

Chiens de garde

Article publié le 01 / 06 / 2009.

La citoyenneté ne s’enseigne pas. Elle se vit ! Dans une école démocratique. Sans dévaloriser les connaissances nécessaires à la compréhension du monde ni les valeurs – relatives - qui créent du lien social, l’éducation à la citoyenneté ne devrait-elle pas davantage contribuer à développer une méthode de jugement critique et à réhabiliter la notion des devoirs de chacun ?

Manipulations génétiques, puces électroniques, armes nucléaires. Allons-nous bientôt vers les HGM, les hommes génétiquement modifiés, se demandait Ramonet ? (1) Quand la science est sans conscience, le futur est sans avenir ! « Le monde est un lieu dangereux, disait Einstein, non à cause de ceux qui font le mal, mais à cause de ceux qui les voient faire sans réagir ». Montée de l’extrême-droite, dérives totalitaires, marketing politique. Plus que jamais, l’éducation à la citoyenneté reste un enjeu crucial. Très logiquement, le décret Missions (1997) en fait une priorité. Parmi les quatre objectifs fondamentaux de notre enseignement fondamental et secondaire, l’école doit « former tous les élèves à être des citoyens responsables, capables de contribuer au développement d’une société démocratique, solidaire, pluraliste et ouverte aux autres cultures ». Un décret de 2007, dit décret Citoyenneté, contribue spécifiquement au renforcement de l’éducation à la citoyenneté responsable et active. C’est dire !

Nos élèves sont-ils de bons citoyens ?
Nos élèves sont-ils de bons citoyens ?
© PROF/FWB

Nos élèves sont-ils de bons citoyens ? Une enquête (discutable) de l’Appel pour une école démocratique (APED), montre que nos élèves ont des lacunes importantes (2). Une étude récente de l’ASBL Jeunes Citoyens auprès de jeunes de 5e et 6e années de l’enseignement secondaire montre le peu d’intérêt manifesté par les jeunes pour la politique. Et le caractère lacunaire de leurs connaissances. Normal, quand on constate qu’ils sont plus nombreux à se tenir informés de l’actualité par la télévision (87%) que par l’école (52%)…

Le constat n’est pas brillant, certes, mais quels citoyens voulons-nous former ? Ce n’est pas évident car la citoyenneté, c’est quoi ? Polysémique, le concept recouvre un ensemble hétéroclite de matières diverses. Le décret Citoyenneté en dresse l’inventaire : pas moins d’onze matières allant des fondements de la démocratie au développement durable. Sujet très large, donc. Trop ? Qui trop embrasse mal étreint, mais la citoyenneté ne s’enseigne pas à travers un cours. Elle se pratique, elle se vit et son apprentissage peut et doit se faire à travers des activités interdisicplinaires (titre III du décret). Dès l’école maternelle car le plus tôt est le mieux !

On ne nait pas citoyen

De fait : on ne nait pas citoyen. On le devient. La citoyenneté, c’est l’exact contraire de l’état de nature, où l’homme est un loup pour l’homme (« homo homini lupus ») imposant sa domination dans une incessante lutte pour sa survie (« struggle for life »). De la res publica au contrat social, puis aux conquêtes politiques de droits universels, il fallut beaucoup d’idéalisme pour vaincre les égoïsmes virils de nos belliqueux aïeux au profit du bien-être collectif.

Le changement radical de perspective imposé par les grandes découvertes maritimes et astrologiques d’abord, puis scientifiques et techniques, généra un courant de relativisme bousculant toutes les certitudes. Le libre examen, l’humanisme sortirent d’une terre asséchée par des siècles d’obscurantisme stérile.

Avec les Lumières et la Déclaration des Droits de l’homme (au sens épicène du terme) et du citoyen s’affirma une conception nouvelle des hommes et des femmes, égaux en droit et libres, unis par un lien fraternel. Le droit au « bonheur » s’affranchit de la castration morale (de mores « moeurs ») imposée par dix-huit siècles de guillotine culturelle. Il n’est pas inutile de rappeler que, jusqu’à une époque récente, les relations sociales reposaient encore sur la domination du plus bêtement fort. Ou sur la soumission à des chefs dont l’autorité reposait sur la propagande idéologique ou le dogmatisme religieux. Sur l’ignorance.

Quelles valeurs ?

La citoyenneté dans une société démocratique, c’est l’art de combiner l’égalité et la liberté, l’individu et la collectivité. La quadrature du cercle ! Elle implique les mêmes droits et devoirs indépendamment des catégories sociales (sexe, race, religion, statut social…). Mais implique-telle nécessairement que les citoyens doivent adhérer aux mêmes valeurs fondamentales ? La question n’est pas simple. Toute société « civilisée » repose sur des valeurs collectives, mais seul le changement étant immuable, celles-ci varient dans le temps et dans l’espace. Des glissements sémantiques en témoignent. Ainsi, par exemple, le « patriotisme », autrefois connoté positivement, est aujourd’hui rangé au rayon des valeurs ringardes. De même, la « morale » n’a-t-elle pas cédé sa place à l’« éthique », beaucoup plus dans l’air du temps ? Jusqu’aux années ‘50 au moins, le « bon » citoyen était un bourgeois phallocrate, économe et nationaliste. Un bon père de famille, deux guerres mondiales…

Le moralisme triomphant de l’idéologie bourgeoise a cédé la place à une éthique de vie en communauté plus ouverte sur le monde et le respect de l’autre dans ses choix et dans ses différences. Depuis la chute des sociétés communistes, un nouvel ordre international tend à uniformiser la planète, pour le meilleur et pour le pire. Il repose sur les valeurs de paix, de démocratie, de droits de l’homme et d’économie de marché. Ces valeurs peu ou prou consensuelles n’empêchent toutefois pas que le corps social soit gangrené par des stéréotypes d’autant plus pervers qu’inconscients. Ici aussi, l’école peut jouer un rôle fondamental en développant l’esprit critique des élèves et en participant à des projets ou animations tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de ses murs (3).

Donner du sens

Tous les groupes sociaux tolèrent un certain écart par rapport à la norme, mais jusqu’à quel point ? Démontons d’emblée un cliché : il est faux d’affirmer que les jeunes n’ont plus de morale. Ils n’en ont pas moins que leurs ainés mais ce qui a changé ne tient pas tant dans le respect ou non de valeurs que dans ces valeurs elles-mêmes auxquelles ils se conforment. Il est également inexact d’affirmer qu’ils ne s’engagent plus parce qu’on assiste à une désaffection des partis ou syndicats. Ils s’engagent autant qu’avant sinon plus, mais dans des causes correspondant à des valeurs nouvelles véhiculées par notre société postmoderne. Que nous avons créée nous-mêmes…

Enfin, la citoyenneté ne représente pour certains d’entre nous qu’un concept dénué de sens. Comment, lorsqu’on est sans travail ni logement, sans formation intellectuelle, adopter un comportement respectueux des règles d’une société dont on est exclu ? On n’a jamais vu de fleurs pousser dans un désert de sel. Pour devenir citoyen actif et responsable, encore faut-il connaitre au préalable la sécurité matérielle, et avoir le souci du bien commun. C’est sur ce dernier point au moins que l’école doit intervenir en donnant du sens à cet apprentissage essentiel. Le meilleur moyen d’enseigner la citoyenneté, c’est de la pratiquer à l’école !

On ne nait pas citoyen. On le devient en pratiquant la citoyenneté dans une école démocratique.
On ne nait pas citoyen. On le devient en pratiquant la citoyenneté dans une école démocratique.
© Mabi

Matraques et matraquage

Mais ce n’est pas tout ! Il ne sert à rien de construire d’un côté ce qu’on détruit de l’autre. Inutile d’éduquer à la citoyenneté si, parallèlement, l’on ne fait de l’éducation aux médias une priorité. Avec le matraquage de certains médias commerciaux, particulièrement les médias audiovisuels, l’on peut se demander si nous n’avons pas remplacé une dictature par une autre, bien plus perverse parce qu’insidieuse, celle de l’audimat ? Ni matraques ni bottes, mais cette soumission volontaire n’est-elle pas une nouvelle forme de barbarie plus inquiétante encore?

La communication est devenue la grande utopie de nos sociétés contemporaines, fortement communicantes mais faiblement rencontrantes comme l’explique Philippe Breton. Une nouvelle « valeur » sans contenu (4). Les médias audiovisuels créent du lien virtuel, engendrant de ce fait des attitudes de repli sur soi. Il convient toutefois de relativiser la crise du lien social. Dans notre société de « minitribus » (Régis Debray) (5), les liens sont plus éphémères, mais plus nombreux et variés. Sans doute le « vivrensemble » n’a-t-il jamais été poussé aussi loin qu’aujourd’hui, mais comme source d’épanouissement personnel. L’individualisation croissante de nos sociétés postmodernes favorise la privatisation et la judiciarisation des relations humaines. Conséquence logique : à l’école, comme dans toute société procédurière, les recours sont banalisés. Souvent abusifs.

Alors, quel citoyen former ? Un individu capable de se penser dans sa relation aux autres. Un individu capable de dépasser les particularismes pour penser l’universel, engagé dans une triple relation, avec soi-même, avec les autres et avec le monde, bref capable de se penser comme l’élément
d’une longue chaîne fraternelle, dans le temps et l’espace. Mais aussi un citoyen critique, capable d’analyser et d’argumenter, de démonter les stéréotypes et les simplismes. Qui ne voit pas le monde en noir et blanc, mais dans les nuances subtiles d’une panoplie de couleurs. Ne convient-il pas d’enseigner, plutôt que des valeurs mouvantes, une méthode de réflexion critique pour apprendre à juger avec raison ?

L’équilibre est un déséquilibre constamment rattrapé. Il ne saurait y avoir d’équilibre sans les deux plateaux de la balance. Nous avons conquis durement nos droits sur la nature humaine, à la conservation desquels nous devons être vigilants. Le moment n’est-il pas venu d’écrire une nouvelle Déclaration universelle des devoirs de l’Homme ? Pas de devoirs sans droits, pas de droits sans devoirs !

Enfin, plus que jamais, il sied de recréer du lien social durable en remettant le collectif au coeur de nos projets de société. Encore faut-il que l’école elle-même soit démocratique pour donner du sens à la citoyenneté. Tout un programme ! Un programme qui ne figure dans aucun cours spécifique, mais dans tous car l’éducation à la citoyenneté est une discipline transversale par excellence. Pour que nos jeunes posent des choix en âme et conscience. Et s’engagent dans la cité en chiens de garde. Car tous les chiens ne sont pas toujours aussi gentils. Les bruits de bottes et les matraques ne sont jamais loin…

(1) Dans un article du Monde diplomatique.
(2) Étude téléchargeable sur http://www.ecoledemocratique.org. Les critiques de l’APED en matière d’éducation à la citoyenneté méritent également d’être consultées pour leur pertinence.
(3) Signalons à cet égard deux initiatives intéressantes pour apprendre à décoder les stéréotypes sexistes : la très belle exposition organisée par la Fondation Roi Baudouin au musée BELvue (jusque fin mai), et la campagne Stéréotype toi-même de la Direction de l’égalité des chances de la Communauté française, avec une BD cocasse, des affiches et des cartes postales diffusées gratuitement depuis quelques mois. http://www.egalite.cfwb.be
(4) BRETON Ph., L’utopie de la communication. Le mythe du « village planétaire », Paris, éd. La Découverte, coll. Essais, 1997, pp. 94 et 116.
(5) Dans Le Soir du 15 avril 2009. Le lecteur intéressé par la notion de société néotribale consultera avec intérêt les ouvrages du sociologue (controversé) de la postmodernité Michel Maffessoli, dont La part du diable, intéressant également sur le plan de la morale.