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Magazine PROF n°36

 

Dossier Quand le théâtre entre en classe

Les ateliers d’improvisation s’adaptent à tous les élèves

Article publié le 11 / 12 / 2017.

L’Institut technique d’enseignement secondaire spécialisé (ITESS) à Ath organise un atelier d’improvisation animé par des comédiens professionnels pour développer les capacités de parole et d’écoute chez ses élèves.

Ce matin de janvier 2018, Brandon, Marvin, Joé, Damien, Logan, Wesley, Kevin, Keny, Tristan et Dylan sont attentifs aux explications de la comédienne Élisabeth Wautier, qui les coache dans un atelier d’improvisation. Sa collègue Laurence Katina fait de même avec six autres élèves. Dans un instant, ils seront quatre à entrer dans l’espace de jeu : ils figureront un arrêt sur pause de la salle à manger d’un diner de famille, pour démarrer ensuite une improvisation de trois minutes. Puis quatre autres improviseront à partir d’un saloon du far-west américain.

L'atelier d'improvisation apprend aux élèves à oser intervenir devant un public.
L'atelier d'improvisation apprend aux élèves à oser intervenir devant un public.
© PROF/FWB

Leur école, l’ITESS, forme des ouvriers qualifiés en maçonnerie, ferronnerie et peinture du bâtiment. Elle accueille des élèves de type 1 (troubles légers du développement intellectuel) et de type 3 (troubles du comportement et/ou de la personnalité qui perturbent leur relation aux autres), en forme 3. Un enseignement qui mène à un certificat de qualification professionnelle.

De la confiance en soi, de l’expression…

« Nos élèves ont un très bon niveau de qualification, explique la directrice Michèle Hallot. Les mains sont là, c’est génial. Mais les difficultés apparaissent pour la prise de parole ou l’écoute de l’autre, face à un patron, à un client, ou au téléphone. Pourquoi ne pas utiliser le théâtre d’improvisation pour leur donner plus de confiance en eux et de compétences dans la prise de parole et l’écoute ? »

La réponse à cette question, c’est un module (acheté sur fonds propres) de cinq ateliers de deux heures, animé par deux comédiennes de la Ligue d’improvisation professionnelle Wallonie-Bruxelles (LIP). De plus, les élèves ont assisté à un spectacle de théâtre d’improvisation, pour voir à quoi arrivent des professionnels, pour découvrir des lieux et leurs codes. « La plupart n’avaient jamais ouvert la porte d’un théâtre. Et ils ont voulu y retourner une deuxième fois », commente la directrice. À cela s’ajoute une formation de trois jours, organisée par le réseau libre, avec les mêmes partenaires, pour dix enseignants de cours généraux de l’Institut : « Pour qu’ils comprennent les ateliers en les vivant eux-mêmes et, qu’à terme, ils puissent les reprendre à leur compte ».

De l’écoute et du respect

« Nous n’envisageons pas le théâtre d’improvisation comme une compétition, précise Mme Wautier, avec des arbitres, des fautes, des pantoufles à jeter sur les acteurs qui évoluent sur une patinoire, avec des chasubles de hockey. Mais plutôt comme un jeu qui permet de vivre une histoire qui part d’un défi, avec plein d’émotions et moins de vannes faciles. Les valeurs de l’impro sont des valeurs qui appartiennent à un code universel de conduite : l’expression, l’écoute, le respect ».

« En dix heures, notre but est d’ouvrir des barrières, d’apprendre aux élèves à oser parler, à respecter l’autre, à accepter ses propositions, en se mettant en danger devant le regard des autres élèves du groupe. Nous n’irons pas jusqu’à une représentation devant un public plus important. L’atelier est trop court pour prendre le risque de les stresser voire de les démoraliser ».

Selon la directrice, les élèves ont des difficultés à prendre en compte leur corps, à mimer, à faire exister un univers autour d’eux sans l’aide d’un décor, à développer leur imaginaire. Ils expriment difficilement une émotion. « Jouer la peur ? Madame, moi je n’ai peur de rien ». Ils éprouvent de la gêne pour se regarder : « Mais Madame quand on se regarde, c’est qu’on est amoureux ». Ils sont tiraillés pour s’ouvrir, comme s’ils s’étaient forgé une carapace de pudeur. « Mais aujourd’hui, réagit Mme Katina, leurs épaules se relèvent, ils sont plus attentifs aux regards ». Ils ont du mal à assister au jeu sans lâcher des remarques à voix haute. Mme Wautier : « Mais elles portent plus sur la situation, ce qui montre leur implication, que sur une personne ». Ils ont du mal à sortir d’eux-mêmes, à jouer un personnage différent. Mais ils deviennent capables d’incarner un prisonnier qui fait des exercices physiques dans une cour de prison, un cow-boy avec un accent viril ou un jeune qui emménage avec l’aide de ses amis.

Défi gagné

Au fur et à mesure, ils surmontent les difficultés. Au troisième ou au quatrième atelier, « le défi est gagné » clament leurs enseignantes. Après un échauffement en cercle pour dérouiller leurs muscles, les élèves marchent dans l’espace de jeu et au signal miment une émotion (colère, honte, joie…), en rappel de l’atelier précédent. Puis ils sont invités, par groupe de trois, à raconter une anecdote vécue en trio. Enfin, ils réalisent une improvisation par groupes de quatre en démarrant d’une situation figée.

Une difficulté surmontée : incarner un personnage différent de soi.
Une difficulté surmontée : incarner un personnage différent de soi.
© PROF/FWB

Les enseignantes d’ajouter : « Quant à nous, lors de la formation, nous avons appris des trucs pour initier la prise de parole, ou l’importance du regard, ou des exercices pour instaurer un climat de confiance : l’un se laisse tomber en arrière et l’autre le rattrape… Mais nous ne nous sentons pas encore capables de réaliser les exercices avec nos élèves comme le font les comédiennes ».

Bref, « les exercices d’improvisation peuvent s’adapter à tous les publics, explique Mme Wautier. On peut les compliquer en ajoutant des consignes, ou les diviser en plusieurs étapes et les franchir comme si on montait un escalier ». Et Mme Katina de conclure : « En général, les élèves se sous-estiment énormément. Il n’est pas besoin d’un jeu ou d’un mime spectaculaire pour dire quelque chose d’important. Deux individus qui se regardent simplement, cela raconte énormément ».

Patrick DELMÉE