Magazine PROF n°25
Dossier Neurosciences et éducation : un dialogue en construction
Éloge de la résistance
Article publié le 01 / 04 / 2015.
S’appuyant sur les recherches en neurosciences, Olivier Houdé, professeur de psychologie à l’université Paris Descartes, a développé sa théorie de la résistance cognitive. Apprendre, c’est d’abord résister à ses automatismes…
Alors que l’inhibition fut d’abord vue et étudiée de façon négative en quelque sorte (pour les conséquences liées à l’absence d’inhibition), les techniques d’imagerie cérébrale ont mis en avant son rôle dans l’apprentissage.
Steve Masson, professeur à la Faculté des Sciences de l’éducation de l’Université du Québec à Montréal, évoque par exemple une recherche indiquant que des « étudiants avancés dans leurs études en sciences doivent avoir recours à des régions cérébrales liées à l’inhibition (dont le cortex préfrontal ventrolatéral) pour répondre de façon scientifique à des questions portant sur des conceptions non scientifiques fréquentes » (1).
Et il définit l’inhibition comme « la capacité du cerveau à contrôler des intuitions, des stratégies ou des habitudes spontanées en relâchant des neurotransmetteurs inhibiteurs qui viennent nuire à l’activation des réseaux de neurones responsable de ces intuitions, stratégies ou habitudes ».
Piaget réexaminé
Instituteur de formation, Olivier Houdé est aujourd’hui professeur de psychologie à l’université Paris Descartes. Adoptant un point de vue plus large basé sur une vingtaine d’années de recherches, il réexamine la théorie des « stades » de Jean Piaget, depuis les automatismes jusqu’à la pensée réflexive, stade ultime du développement cérébral.
« Pour bien comprendre ma théorie du développement cognitif et ses conséquences éducatives, explique Olivier Houdé dans un entretien accordé au mensuel Sciences humaines (2), il faut savoir que le cerveau de l’enfant, comme celui de l’adulte, fonctionne avec deux types de stratégies pour résoudre les problèmes : l’heuristique [basée sur l’intuition] et l’algorithme [axé sur la réflexion, la pensée logico-mathématique] ».
Or, « dans certains cas, l’heuristique est tellement rapide qu’elle nous empêche d’être logiques, rationnels. Il faut qu’un troisième système intervienne pour résister aux heuristiques et activer nos algorithmes. C’est l’inhibition... »
Cette capacité à inhiber nos automatismes, nos intuitions, est évidement fondamentale pour l’apprentissage. Et Olivier Houdé d’évoquer l’association de la longueur au nombre chère à Piaget. Face à deux rangées de pions écartés différemment, l’enfant doit inhiber cette intuition qui en quelque sorte lui saute aux yeux au profit d’une stratégie (le dénombrement) plus couteuse et moins rapide.
L’intérêt de l’imagerie cérébrale est d’avoir repéré la région du cerveau activée lors de l’inhibition de la pensée intuitive, à savoir le cortex préfrontal. Or, la maturation de cette région commence à partir de 12 mois et dure jusqu’à l’âge adulte. « C’est la raison pour laquelle les enfants, comme les adultes, ont des difficultés à inhiber. Il s’agit là d’une donnée fondamentale pour l’éducation : c’est sur ce point qu’il faut travailler », estime Olivier Houdé.
(1) MASSON, S., « Cerveau, apprentissage et enseignement. Mieux connaître le cerveau peut-il nous aider à mieux enseigner ? », dans Éducation Canada, septembre 2014. https://www.edcan.ca/articles/cerveau-apprentissage-et-enseignement/?lang=fr
(2) « Réfléchir, c'est résister à soi-même » - Rencontre avec Olivier Houdé, interview réalisée par Maud Navarre, dans Sciences Humaines, n°265, décembre 2014 (http://bit.ly/1EzYt7z)
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