Magazine PROF n°29
Dossier Ils ont décroché, ils ont repris pied
Vincent Engel: « L’école ne m’a jamais intéressé »
Article publié le 01 / 03 / 2016.
Écrivain, chroniqueur, mais aussi professeur dans l’enseignement supérieur, Vincent Engel a lui aussi vécu le décrochage scolaire...
PROF : On vous imagine mal en décrocheur…
Vincent Engel : Je n’ai jamais été intéressé par l’école. Je pense qu’au début des primaires déjà, je préférais m’inventer des histoires plutôt que rester dans la réalité. La plupart des cours ne m’intéressaient pas. En sixième, ça a commencé à se compliquer, j’aurais dû travailler plus… mais j’ai réussi ce qu’on appelait alors l’examen diocésain.
J’avais des parents âgés : je suis le dernier d’une famille de quatre enfants, tous nés à cinq ans d’intervalle. Ma sœur avait donc quinze ans quand je suis né. Mon père travaillait tout le temps. Au début de ma scolarité primaire, ma mère me suivait mais lorsque j’étais en quatrième, nous avons déménagé à Ohain. Pour ma mère, quitter Bruxelles a été une épreuve : elle a perdu son réseau social. Devant assister mon père dans son travail, elle n’avait plus beaucoup de temps à me consacrer.
Quand j’étais en première secondaire latin-grec – la voie habituelle pour un non-matheux –, mon père a eu une lourde dépression. Ma mère devait tout assumer : les affaires de mon père, les contacts avec son associé… On m’a mis en pension durant quelques semaines, mais c’était insupportable pour moi. Je n’ai pas tenu le coup.
Certains enseignants-vous ont-ils « accroché » ?
J’ai eu des profs exceptionnels. Mais d’autres étaient très bien avec les élèves qui rentraient dans le moule, dans le cadre. Je ne travaillais pas. Je trouvais l’école détestable. Je n’étais pas aidé. Au contraire, on m’enfonçait. Je n’hésitais pas à dire que je n’étais pas d’accord avec une décision, envers moi ou envers un autre élève, que je considérais comme injuste. À la fin de la première, j’ai eu des examens de passage et je suis passé en deuxième.
Cette année-là, j’ai été bloqué à la maison pendant plusieurs jours à cause de la neige ; je suis parvenu à faire durer les choses… J’ai écrit à ce moment mon premier roman. J’ai pris beaucoup de temps à inventer une histoire et je me suis encore moins intéressé à l’école à l’exception de certains cours (français, histoire…). J’avais une chouette classe mais personne ne me proposait de l’aide. D’ailleurs, je ne demandais l’aide de personne.
En troisième, j’ai eu d’excellents profs ; l’un d’eux organisait même un atelier d’histoire de l’art après l’école. Par contre, d’autres n’avaient pas le moindre sens pédagogique. Je me souviens notamment que lors d’un contrôle de math, le prof, qui enseignait aussi la biologie, m’a glissé : Tu sais Vincent que tu es le seul à avoir raté ton contrôle de bio ? À la fin de l’année, j’ai eu un travail de vacances.
En quatrième, j’ai décroché. Je ne supportais plus l’école. Le prof de grec avait donné une dissertation sur le bonheur. J’avais rédigé, argumenté correctement, mais il m’a mis une note insuffisante en me disant que « le bonheur, ce n’était pas ça ». J’ai été mofflé, car ce n’était pas SA définition du bonheur.
J’étais en conflit ouvert avec mon père, ma mère était fatiguée. Je ne savais pas encore qu’elle était malade. J’ai sabordé ma quatrième. J’ai même remis une feuille blanche pour éviter d’avoir un examen de passage. C’était la seule manière de faire comprendre à mon père que je ne voulais plus faire latin-grec.
Et vous avez pu changer d’option ?
Mon père m’a mis en quatrième Sciences humaines à Namur. Une option très intéressante où j’avais des cours de langues, de sciences et de sciences sociales. J’ai trouvé là des profs fabuleux qui avaient vraiment le sens de la pédagogie. Je devais me lever à 6 h pour prendre le train, je côtoyais des élèves de milieux différents. Mais ma mère est tombée malade et j’ai dû retourner dans l’école que j’avais quittée. Pour poursuivre sur ma lancée namuroise, je me suis inscrit en scientifique B. Au premier cours, j’ai retrouvé le prof de math avec lequel cela s’était mal passé précédemment. Mais il m’a dit qu’il espérait que cette année, ça se passerait bien. Cela m’a encouragé et j’ai réussi cette année-là.
Mais en cinquième, ce fut la Berezina. J’ai retrouvé le même prof de physique qui ne savait pas donner cours ; je ne comprenais rien. C’était pareil en math et en dessin scientifique, je n’essayais même pas. Un prof de langues m’a dit en janvier : Quoi que tu fasses tu doubleras. J’écoutais la radio avec des écouteurs en classe ; j’ai même obtenu la possibilité, prétextant la maladie de ma mère, de brosser certains cours. Je dormais en classe car je dormais très peu à la maison. Je me réveillais au cours suivant. En pétard avec mon père, je lui ai dit que je voulais étudier la photo. À cette époque aussi, je lui ai écrit un long texte que j’ai retrouvé vingt ans plus tard. J’y écrivais notamment : « Pour être sûr qu’on m’écoutera plus que maintenant je suis décidé à acquérir par mes études et par d’autres moyens le prestige nécessaire sans lequel on n’écoute personne ». En mai, j’ai décidé de quitter l’école et de faire le jury central.
Comment avez-vous préparé les examens ?
Avec des livres, j’ai travaillé seul, gérant mon horaire comme je le voulais, faisant du sport, lisant beaucoup. Pour la première fois cette année-là, j’étais heureux. Un an plus tard, j’ai obtenu le diplôme de sixième secondaire. Quand je suis retourné dans mon école secondaire, le prof de langues m’a dit : C’est grâce à moi que tu as réussi. J’ai été saisi par un sentiment de haine profond.
En l’entendant, j’ai pris deux résolutions : aller aussi loin que ces enseignants et même plus loin encore. J’ai fait un doctorat. Mais je me suis interdit de faire l’agrégation. Hors de question, avec ce que j’avais vécu, de me retrouver prof dans le secondaire ! Je me suis libéré de cette façon. J’ai aimé l’univ’ et j’ai voulu y enseigner, même si je trouve que c’est un milieu qui peut être prétentieux, imbu de lui-même, perdant son temps à des futilités. J’adore enseigner et j’essaie de transmettre ma passion à mes étudiants. Je leur précise qu’ils ne doivent venir au cours que s’ils en ont envie mais que s’ils y viennent, j’exige ponctualité et attention. Et je déteste les examens.
Il m’arrive encore aujourd’hui de faire un cauchemar : je dois refaire ma rhéto. Mais avec le recul, je me dis que si j’avais poursuivi mes études secondaires à Namur, je n’aurais peut-être pas fait des choses si intéressantes après. De toute manière, avec des « si »…
L’enseignement secondaire, lui, est obligatoire…
Je pense que seuls des gens hyper motivés et hyper compétents devraient enseigner dans les écoles. Quand je rencontre, en tant qu’écrivain, des élèves du secondaire, je m’efforce de les intéresser… mais je ne sais pas comment je ferais au quotidien. Je voudrais tout de même insister sur le fait que c’est l’instruction qui est obligatoire, pas l’école. Enfin, selon moi, il faudrait avoir le courage de rénover de fond en comble le paradigme de l’enseignement.
Propos recueillis par
Catherine MOREAU
N.B. Ce texte est la version complète de l'interview de la version papier.
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