Magazine PROF n°34
Dossier Le passage en secondaire : rupture ou transition ?
« Je me sens joyeuse et peureuse »
Article publié le 01 / 06 / 2017.
Quels sont les sentiments, les espoirs, les craintes des élèves de 6e primaire à quelques encablures de leur passage en secondaire ? PROF a pris la température en ville et à la campagne. Rencontre avec des enfants de quatre classes de l’École communale du Laveu, à Liège, et de la classe de l’École communale de Wodecq.
Souvent, les sentiments se mêlent. Il y a la joie, voire l’impatience face aux changements, aux découvertes à venir. Et puis la tristesse liée à la séparation des copains et à certaines craintes face à l’inconnu. « Je suis contente. Le changement, c’est cool, assure Lili. Mais je suis triste de quitter mon école primaire ». « Triste de perdre mon meilleur ami qui ira dans une autre école », enchaine Nils.
Spontanément, quelles que soient les émotions ressenties, ce qui leur vient à l’esprit, ce sont les amis. Ceux qu'ils ne reverront plus que de façon épisodique, ceux qui les accompagneront dans leur nouvelle école, les « anciens » de primaire qu'ils vont y retrouver, et les nouveaux.
Les futurs changements de rythme, d’habitudes, de matières scolaires, restent au second plan. « Je suis un peu stressée, confie Lilas. J’ai peur de ne pas pouvoir me faire beaucoup d’amis dans ma nouvelle école ». Martin la rassure : « Moi j’ai déjà changé d’école une fois en 4e primaire. Je pense que ce sera la même chose : au début, on ne connait personne et puis ça va… »
Elfrida, elle, a « super hâte de se faire de nouveaux amis. Il y a plein de gens que je connais déjà, à la danse, qui sont déjà dans l’école secondaire et qui m'expliquent plein de choses. Si ça se trouve, je vais rester avec les mêmes amis, mais peut-être que ce ne sera plus du tout les mêmes ». Sasha approuve : « Les amitiés peuvent se transformer à l’adolescence » (1).
L’avis d’Éléonore tranche un peu : « Je me sens bizarre. J'ai l'impression de ne pas être en 6e mais en 4e. Le temps a passé tellement vite ! »
« J'ai peur d'être jugé »
Certaines craintes s'expriment aussi, liées à l’image d'eux-mêmes dans un nouveau milieu de vie et de travail. Stella : « J’appréhende un peu que certaines personnes me jugent, ne m’acceptent pas comme je suis. Que je doive me faire à leur idée d’une personne telle qu’elle doit être dans le secondaire ». Même écho chez Amelie qui se qualifie de « peureuse et joyeuse ».
Miya renchérit. « J’ai peur de l’image que les profs et les élèves vont se faire de moi. En même temps, je n’ai pas envie de changer mon caractère pour être une fille populaire. Je préfère que personne ne m’aime et rester moi-même ».
Prêts, prêts « bif bof », ou pas prêts…
Se sentent-ils prêts ? Entre franc optimisme et doutes, l’entourage joue aussi un rôle majeur. Il y a les frères et sœurs, les copains qui y sont déjà, les parents qui rassurent. « Je me sens prête, explique Lilas, sans une ombre d’hésitation. J’ai des amis qui étaient ici en 6e, l’an dernier ; ils réussissent bien en 1re secondaire ».
Livine ajoute : « J’ai des bons points. Mes parents me suivent dans mon travail et ils me disent que ça va aller ». Moins confiante, Léa se dit « prête bif bof ». « J'ai un peu d'appréhension mais ma maman, qui est enseignante, dit qu’on a vu tout ce qu’il fallait en primaire. Et puis, mon cousin qui était stressé à mort l’an dernier a réussi sa 1re avec 90 % et dit que c’est super facile… »
Certains ont encore d’autres repères. « Mon père était prof d’anglais dans l’école où je vais aller, confie Josh. Il m’explique ce qu’on fait là-bas, et ça me rassure ». Stella, elle, le souligne : elle connait une élève de 2e secondaire qui pourra l’aider.
Avant le passage, il y a le CEB qui sert de balise - plusieurs élèves liégeois notent qu’ils ont réussi l’épreuve d’entrainement -, mais inquiète aussi. « J’ai un peu peur de le rater », note Carolane. Arthur tempère : Une copine de 14 ans lui a expliqué qu’il ne devait pas stresser pour le CEB « car c’est simple » et que le secondaire « au début, c’est dur puis on s’habitue ».
Selon Nils, les profs « mettent un peu la pression » : les deux tiers des apprentissages de primaire sont pris en compte dans le CEB. N’empêche. Charles confie : « J’ai peur de rater mon CEB et de ne pas pouvoir aller en secondaire. J’ai un peu de mal à l’école ». Jules enchaine : « Je ne me sens pas prêt pour la lecture ; je ne comprends pas bien le vocabulaire ».
Miya exprime une autre crainte : en secondaire, elle devra s’organiser autrement. « Je ne suis pas prête car maintenant, je fais beaucoup d’activités extrascolaires qui m’aident à décompresser. En secondaire, il y aura plus de devoirs à l’école et je devrai aussi passer plus de temps à ces activités et j’ai peur de ne pas pouvoir tout gérer. Mais pas question que je laisse tomber : je vais m’organiser, me débrouiller ».
Le choix de l’école
En septembre, les élèves de l'école de Wodecq se disperseront dans cinq ou six écoles secondaires, à Ath, à Enghien ou à Mouscron. Plusieurs iront à l’internat. « Ça va changer pour moi, observe Martin, mais je reviendrai à la maison le week-end. Et mes frères qui y ont été m’ont dit que je pourrais emporter des choses que j’aime bien, comme ma guitare ».
Ce qui a guidé le choix ? La tradition familiale, les frères et sœurs qui ont ouvert la voie, le souci de suivre les copains, le projet pédagogique, la réputation de l'école secondaire. Et les futures options qu’elle propose. Christophe : « Je suis juste allé à la réunion d’information en février, j’ai visité le collège avec mes parents et j’aime bien car je pourrai y faire du latin et des maths ».
Pour un certain nombre d’élèves des classes liégeoises, c’est la continuité pédagogique qui a primé : ils gagneront l’Athénée communal qui applique aussi la pédagogie Freinet. « Pour ceux qui vont dans d’autres écoles, ce sera bien plus dur », observe Miya.
Ulisse, lui prendra une autre direction : « Comme je suis dyslexique, j'irai à Huy dans une école près de chez moi, qui fait bien attention à la dyslexie. J'ai choisi avec mes parents, et je préfère aller là ».
« Je vais prendre le bus tout seul… »
La diversité des situations familiales, le trafic ou les horaires professionnels des parents ont bousculé le cliché de l’école rurale où les enfants se rendent à pieds ou à vélo. Dans les deux écoles, c'est en voiture que se déplacent majoritairement les enfants de 6e que nous avons rencontrés.
En 1re secondaire, beaucoup emprunteront des transports en commun. « Je prendrai le bus. Ça ne me fait pas peur, mais c’est bizarre car je ne l’ai jamais pris avant, explique Lola. Et il n’y aura personne de l’école dedans ».
Gaëlle se dit stressée : le trajet en bus ne prendra qu'un quart d'heure mais elle a peur de se tromper d’arrêt. Marilou enchaine : « Ça m'est égal de prendre le bus mais après, je devrai faire un trajet à pieds et j’ai un peu peur des gens qui marcheront avec moi . Clément, lui, met l’accent sur le changement de l’horaire : « Je dormirai moins : je prendrai un bus plus tôt le matin, tout seul. Maintenant je viens en voiture avec mes frères et sœurs ».
Vickie, elle, prendra le train : « Maintenant, venir à l’école, cela prend cinq minutes en voiture. En septembre, de Wannebecq, je devrai aller à la gare de Papignies. Le trajet ne dure pas longtemps jusqu’à Ath, mais il n’y a pas beaucoup de trains. Je devrai me lever bien plus tôt et je ne connaitrai personne dans le train ».
« Il faudra s’habituer à chaque prof »
Beaucoup le notent d’emblée : en secondaire, il y aura bien d'autres cours. « Avec de nouveaux noms, précise Lola : on dira sciences au lieu d’éveil ». Pour Clément, les cours seront les mêmes qu’en 6e primaire, « mais ce sera plus poussé et on aura un prof pour chaque cours. Il faudra s’habituer à chacun ».
Livine ajoute : « Beaucoup plus de classes, aussi. Et, à la place des tableaux avec des craies, on aura des tableaux interactifs ». « Plus de devoirs avec un prof pour chaque branche, changer de classes, être à l’heure, je vais essayer », résume Léa. Et Josh d'ajouter : « J'ai peur de me tromper de cours ».
Plusieurs élèves, à Wodecq, le rappellent tout de même : en 6e, ils ont déjà plusieurs enseignants, se répartissant les cours spéciaux (gym, néerlandais…) mais aussi le français/calcul, l’histoire et les sciences-géographie.
À l’école secondaire, il leur faudra aussi apprivoiser un nouvel environnement. « Il y aura beaucoup d'escaliers à monter ; il ne faudra pas se perdre », poursuit Livine. « Ce sera bizarre. Je crois qu'on devra avoir de bonnes jambes pour monter au 6e étage puis redescendre au 1er », explique Nils, plus pragmatique encore.
Matéo l’assure : « Les profs sont plus stricts. Ils font tout le temps des remarques. Mon frère me l’a dit ».
« Les devoirs, c’est un peu chaud, mais ça va »
Et puis, il y a le travail scolaire. « Ça me fait un peu peur d'avoir plus de devoirs. Ici, on en a juste deux par semaine : on n’aura pas l’habitude », note Carolane. Stella la rassure : une amie lui a dit qu'en 1re secondaire, « c’est un peu chaud mais ça va… »
Comme Aleyssa, Christophe pointe un changement… de taille : « Ici on est les plus grands ; on sera les plus petits là-bas. Mais au diner, on m’a dit qu’on ne sera pas à côté des grands ».
« Je m’habillerai d’une autre façon »
Mais le secondaire ce sera aussi des habitudes nouvelles. Et des libertés toutes neuves. « Je jouerai à d’autres jeux qu’ici et je m’habillerai d’une autre façon », assure Laurine.
Jules explique : « On pourra sortir de l’école pour aller acheter une baguette ». Tandis que Livine enchaine : « Et on pourra acheter des boissons et d’autres choses au distributeur si on a oublié sa collation. On sera plus responsable… »
Et quand on demande aux enfants liégeois quels conseils ils donneraient à leurs enseignants de 6e pour préparer leurs futurs élèves à la 1re secondaire, les idées fusent (2). « Ils ne doivent pas leur mettre la pression, plutôt leur dire de ne pas stresser, qu’ils vont réussir. Mais ils doivent aussi être vigilants sur l’organisation, le planning de la semaine, les pousser à donner le meilleur d’eux-mêmes et… leur dire de profiter de leur dernière année ! »
(1) Les travaux d’Aletta Grisay, notamment, indiquent que les pairs constituent un puissant facteur d’apprentissage. Lire à ce sujet l’article « Facteurs d’efficacité de l’apprentissage », dans Éduquer et former, décembre 1995, p. 6, http://www.aspe.ulg.ac.be/grisay/fichiers/ART21.pdf
(2) On notera qu’une des écolières de l’École du Laveu nous a confié après ce débat qu’il l’avait rassurée…
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