Magazine PROF n°35
Dossier Rentrée 2017
De l’extraordinaire vers l’ordinaire
Article publié le 01 / 09 / 2017.
L’École Saint-Paul, à Mont-sur-Marchienne, a entamé en septembre 2016 un projet de classe intégrée pour des enfants ayant une déficience mentale.
Depuis septembre 2016, huit élèves de 6 à 9 ans forment la classe intégrée verticale de l’École Saint-Paul, à Mont-sur-Marchienne. Elle est administrativement rattachée à l’École primaire d’enseignement spécialisé libre Mont-Chevreuil, à Roselies, mais physiquement présente dans une école de l’enseignement ordinaire. Ce sont des élèves de type 2 (déficience mentale légère, modérée ou sévère) ; certains ont des troubles autistiques. Ils sont encadrés par un enseignant, une logopède, une éducatrice à mi-temps et des éducateurs stagiaires.
Intégration ou inclusion ?
« Il s’agit d’un mix entre intégration et inclusion. Certains l’appellent classe inclusive, je préfère parler de classe intégrée », explique Julien Petyt, directeur de Saint-Paul. Le principe de l’intégration, c’est qu’un élève à besoins spécifiques fréquente les cours de l’enseignement ordinaire avec un accompagnement pédagogique et ou paramédical. Le contenu, la durée, la quantité des cours sont déterminés par un projet signé par les partenaires. L’école inclusive, elle, met en place une réponse globale à tous les besoins spécifiques de ses élèves.
Ces élèves de la classe intégrée vivent ensemble avec tous les autres élèves les temps de récréation, de réfectoire, de garderie. « Mais cela ne doit pas s’arrêter là, insiste M. Petyt. Sinon, une fois l’effet magique de la première récréation passé, après trois semaines, les moqueries commencent. Nous avons au moins une activité commune par jour ». De nombreuses sont spontanées. D’autres sont plus structurées comme la fréquentation de l’accueil matinal en maternelle par des élèves intégrés ou des classes ordinaires qui viennent faire des lectures ou de la cuisine en classe intégrée,…
D’autres exemples ? Léa et Gabriel fréquentent la 1re ordinaire deux heures par matinée pour apprendre le français et les mathématiques. « Au-delà, ils perdent leur concentration ». Ou, la 2e primaire et la classe intégrée participent à différentes activités artistiques et culinaires avec le projet Résidence d’artistes, soutenu par Culture-Enseignement. Cela continue dans l’extra-scolaire, avec des initiations à la musique, un cours d’éducation physique commun avec les maternelles et des animations de circo-psychomotricité (activités de cirque).
Les mentalités bougent…
Est-ce assez pour changer les mentalités ? « Toute l’école a vu un spectacle de sensibilisation aux besoins spécifiques, raconte le directeur. Mais surtout, au bénéfice de tous les élèves, nous nous sommes inscrits dans le projet de rénovation de la cour de récréation et de lutte contre le harcèlement mené par l’UMONS. Et pour 2017-2018, nous avons des contacts avec des mouvements de jeunesse, avec l’académie de musique et avec des clubs sportifs ».
Quel bilan après un an de fonctionnement ? « L’extraordinaire est devenu ordinaire. Mais il y a du boulot. Je cumule les fonctions : directeur, animateur de projet, communicateur, chercheur de budgets… explique M. Petyt. Les enseignants travaillent aussi davantage. L’idéal est que tous adhèrent au projet ; si un enseignant n’en veut pas, c’est contre-indiqué de le forcer. Mais le projet comporte des bénéfices pédagogiques : des enseignants améliorent leur différenciation. Et de façon plus globale, lors d’une réunion de préparation de notre plan formation, l’équipe a choisi des formations au bénéfice du projet ».
Un défi
Ce projet est né à l’initiative de Mme Carmela Morici, la maman de Luther qui, à 4 ans, fréquentait une 2e maternelle dans l’ordinaire. Désireuse de permettre à son fils de continuer à y évoluer, elle prend connaissance d’un projet à Banneux, où l’École fondamentale Mater Dei accueille depuis 2001 une classe de trisomiques. Après l’avoir visitée, en mai 2015, elle lance un appel sur les réseaux sociaux : « Pourquoi pas à Charleroi ? » M. Petyt, touché, relève le défi avec la directrice de Mont-Chevreuil.
Pour être viable, ce projet devait remplir trois conditions : aménager au 2e étage un nouveau local pour la 6e primaire et transformer celui du 1er étage pour accueillir la classe intégrée ; obtenir la norme de création pour créer une nouvelle implantation de l’enseignement spécialisé, soit huit enfants ; et remplir toutes les démarches administratives liées aux conditions précédentes. M. Petyt : « Nous y sommes arrivés en un an ».
Pour aménager ses locaux, l’école a reçu de l’aide de privés et notamment de la Fondation du Sporting de Charleroi qui a sponsorisé le nouveau sol, la cuisine et une toilette pour la classe intégrée. Le pouvoir organisateur a soutenu ce projet dès le départ. « Pour les enseignants, ce fut plus mitigé, se rappelle le directeur. Le témoignage d’une ancienne collègue, maman d’un enfant à besoins spécifiques, et enseignante à Mont-Chevreuil, a été déterminant ».
Sous l’impulsion du directeur, en mars 2016, le projet a pris corps et l’équipe éducative a informé les parents lors d’une réunion où sont intervenus la direction de Mater dei et une inspectrice. « Les projets mis en place autour de la classe intégrée et de la lutte contre le harcèlement ont réuni tout le monde dans une spirale positive qui a cassé les réactions négatives », explique M. Petyt.
Et de rappeler que la Belgique est à la traine en matière d’intégration/inclusion mais qu’on assiste aujourd’hui à une prise de conscience générale. L’Avis n° 3 relatif au Pacte pour un enseignement d’excellence évoque d’ailleurs l’importance à inciter à la création d’implantations de l’enseignement spécialisé au sein des bâtiments de l’enseignement ordinaire (1).
« Bref, l’idée est de promouvoir le vivre-ensemble, conclut M. Petyt. Le projet doit apporter un bénéfice à tous et pas uniquement aux élèves à besoins spécifiques ».
Patrick DELMÉE
(1) L’Avis n° 3 relatif au Pacte pour un Enseignement d’excellence estime qu’il faut inciter à la création d’implantation de l’enseignement spécialisé au sein des bâtiments de l’enseignement ordinaire (p. 259) et propose de créer des pôles territoriaux pour soutenir la mise en place d’aménagements raisonnables dans l’ordinaire (p. 252). http://www.pactedexcellence.be/index.php/documents-officiels/
Sept projets
En Fédération Wallonie-Bruxelles, la plupart des élèves à besoins spécifiques sont inscrits dans l’enseignement spécialisé. Mais, via le processus d’intégration, certains reviennent vers l’ordinaire. Pour amplifier ce retour, la Fédération soutient, dès septembre 2017, l’implantation de classes du spécialisé (type 2 et autistes) dans l’ordinaire.
Parmi les sept projets retenus, il y a celui de l’école fondamentale Saint-Paul, à Marchienne-au-Pont (lire ci-contre). Chacun bénéficie d’un mi-temps durant deux années scolaires. Deux personnes engagées grâce à un budget de CAP 48 et du Cabinet de l’Éducation, coordonnent l’ensemble et sont chargées de « photographier » chaque projet au départ et à l’arrivée, pour détecter les difficultés/freins rencontrés dans les démarches administratives, l’aménagement des locaux, l’ouverture des mentalités. À terme, ce travail permettra de modifier les textes légaux pour faciliter de tels projets.
La démarche (qui fait partie du plan Autisme) est cofinancée par la Wallonie et supervisée par le Service universitaire spécialisé pour personnes avec autisme. Une fois mis en place en 2020, les pôles territoriaux prônés par le Pacte pour un Enseignement d’excellence pourront aider avec des moyens humains.
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