Magazine PROF n°48
Dossier Enquête TALIS 2018
« Les enseignants aiment leur métier mais se sentent seuls »
Article publié le 04 / 12 / 2020.
Valérie Quittre, responsable de projet au Service d’analyse des Systèmes et des Pratiques d’enseignement de l’ULiège (aSPe), a conduit l’enquête TALIS 2018. Et nous guide dans ses résultats.
Du bonheur d’enseigner à la difficulté de le faire dans l’isolement… La formule pourrait résumer la réflexion générale de la chercheuse à la lecture des résultats de l’enquête. « Les enseignants aiment leur métier, métier qu’ils ont choisi pour son utilité sociale, mais ils se sentent seuls. Cet isolement ou cette solitude, on le retrouve à tous les niveaux de l’enquête », expose-t-elle.
Seuls en tant que corps social
Les résultats de l’enquête font apparaitre que les enseignants se sentent seuls en tant que corps social, pour commencer. « Cela apparait de manière flagrante : seuls 5 % des répondants considèrent le métier comme valorisé par la société. On tourne autour des 20 % en moyenne OCDÉ, et nous figurons en bas de classement des pays comparés (1) », détaille Mme Quittre.
En Finlande, 60 % des répondants estiment leur métier reconnu par la société, et le chiffre de 5 % enregistré en Fédération Wallonie-Bruxelles est problématique en soi : comme il est souligné dans l’analyse de l’enquête, « la satisfaction professionnelle est un facteur déterminant pour retenir les enseignants dans la profession. La valorisation du métier et la perception qu’en ont les enseignants eux-mêmes est donc un élément-clé pour recruter des enseignants de qualité et les garder ».
Trop de cloisons
Ensuite, les enseignants sondés se sentent seuls dans le cadre de leur travail quotidien. Et cela notamment parce que, plus qu’ailleurs, « les fonctions de l’enseignement demeurent cloisonnées, isolées les unes des autres », poursuit Mme Quittre.
Les exemples de cloisonnement sont nombreux. En commençant par le fait que les chefs d’établissement s’occupent principalement de la gestion administrative et, par manque de temps, peu de la gestion pédagogique et des relations avec les élèves, ce qui explique leur sentiment d’isolement.
Par ailleurs, « le partage des décisions au niveau des établissements est moins installé qu’ailleurs », poursuit la chercheuse.
« 59 % d’enseignants de la Fédération Wallonie-Bruxelles (contre 77 % OCDÉ) estiment pouvoir participer activement aux décisions relatives à l’établissement. Les enseignants sont peu représentés dans les équipes de directions : dans 20 % des établissements contre 58 % en moyenne OCDÉ). »
À la suite de l’enquête TALIS 2018, l’OCDÉ a publié un Guide à l’attention des enseignants. Il y est notamment souligné que « favoriser le leadership des enseignants chevronnés – sans pour autant qu’ils ne désertent leur classe – est un bon axe de formation professionnelle et permet de faire en sorte que leur intérêt pour leur travail ne s’érode pas au fil de leur carrière. Les enseignants qui interviennent dans les décisions concernant leur établissement sont en effet plus susceptibles de s’investir dans les changements de politique ou de pratique et de les promouvoir auprès de leurs collègues. »
Des pratiques professionnelles à repenser
Mme Quittre relève, en outre et de manière générale, que « la collaboration entre enseignants chez nous est peu instituée. Bien sûr, il existe de la coopération entre enseignants et des initiatives existent mais pas dans un cadre organisationnel comme c’est le cas en Autriche par exemple ».
Rappelons ici que l’enquête a été menée en mars 2018. Lors de la prochaine enquête TALIS 2024, il sera intéressant de mesurer l’impact qu’auront eu les contrats d’objectifs des écoles (notamment) sur la satisfaction professionnelle et sur le sentiment d’efficacité des enseignants. Il reste que pour l’heure, le poids des responsabilités sur la tête d’enseignants seuls en classe est énorme.
Cela apparait à travers de nombreux indicateurs et très clairement dans ceux relatifs à la gestion de la classe et au maintien de la discipline (voir Fig. 1). « Les enseignants se heurtent seuls à la gestion des classes dans un contexte de complexification du métier. Ce qui explique sans doute que la diminution de la taille des classes apparait comme une revendication forte, alors que chez nous, avec une moyenne de 24 élèves par classe, nous ne sommes pas mal lotis ».
La difficulté de la gestion de la classe est sans doute à interpréter aussi par le fait que le travail collaboratif entre élèves est peu développé, de même que le sont peu les activités cognitives favorisant l’autonomie des élèves, comme le travail en sous-groupes ou l’auto-évaluation (voir Fig. 2).
Le problème doit en tout cas être considéré à part entière, d’autant qu’il est associé à un des premiers motifs de stress des enseignants, et qu’il peut altérer le sentiment d’efficacité pédagogique.
Compte-tenu des difficultés soulevées cidessus, certaines affirmations apparaissent paradoxales voire cruelles, comme celle montrant que les relations entre collègues sont vues moins positivement chez nous que dans les pays comparés (voir Fig. 3) ou que les enseignants expriment moins qu’ailleurs le sentiment que les initiatives innovantes sont encouragées par les collègues
(51 % contre 78 % OCDÉ).
Deux autres points sont à souligner également quant au ressenti de solitude chez nos enseignants.
Un : le développement professionnel est envisagé dans une perspective plus individuelle que dans d’autres systèmes éducatifs où il existe, par exemple, des communautés de développement professionnel. Elles sont évoquées dans 3 % des réponses en Fédération Wallonie-Bruxelles, mais dans 21 % des réponses au niveau de l’OCDÉ. Deux : les jeunes enseignants font seuls leurs premiers pas dans l’enseignement (voir Fig. 4).
Un investissement personnel important
Le voyage dans les chiffres montre, aussi et surtout, un investissement personnel important.
Néanmoins, le bilan de leur satisfaction professionnelle apparait mitigé, comme le résume Mme Quittre à travers ce dernier graphique.
Si dans leur écrasante majorité les enseignants ne regrettent pas d’avoir embrassé la carrière d’enseignant, ils sont aussi près de la moitié à considérer que les avantages du métier ne compensent pas ses inconvénients (voir Fig. 5).
« Le message est donc "j’aime mon métier mais…" », conclut Mme Quittre.
(1) La Communauté flamande, l’Angleterre, l’Autriche, la France, la Finlande et les Pays-Bas.
Figure 1 - Distribution du temps passé en classe
En moyenne, dans les six pays/régions de comparaison (Angleterre, Autriche, Communauté flamande, Finlande, France et Pays-Bas), les enseignants disent consacrer 77 % du temps de classe aux enseignements/apprentissages.
Source : OCDÉ TALIS 2018 ; Calculs aSPe/ULiège
Figure 2 - Pourcentage d’enseignants déclarant mettre en place souvent ou très souvent les pratiques d’évaluation des apprentissages suivantes
En Fédération Wallonie-Bruxelles, mais aussi en France et en Communauté flamande, les enseignants ont tendance à favoriser l’évaluation via des tests élaborés, notés et commentés par eux-mêmes au détriment des pratiques d’observation et surtout de l’auto-évaluation par les élèves, pratiquée par 68,7 % des enseignants en Angleterre.
Source : OCDÉ TALIS 2018 ; Calculs aSPe/ULiège
Figure 3 - Pourcentage d’enseignants d’accord ou tout à fait d’accord avec différentes affirmations à propos du climat avec les élèves et les collègues dans leur établissement
Pourcentage d’enseignants d’accord ou tout à fait d’accord avec ces affirmations relatives au climat dans leur école, et moyenne des six pays/régions comparables (Angleterre, Autriche, Communauté flamande, Finlande, France et Pays-Bas), en noir si elle diffère significativement de la moyenne FW-B.
Source : OCDÉ TALIS 2018 ; Calculs aSPe/ULiège
Figure 4 - Pourcentage d’enseignants qui déclarent ne pas avoir été accompagnés à leur entrée en fonction
Les différences sont jugées significatives pour cinq des six pays/régions de comparaison que sont la France, la Communauté flamande, la Finlande, les Pays-Bas et l’Angleterre, où seuls 6% des répondants disent n’avoir pas été accompagnés.
Source : OCDÉ TALIS 2018 ; Calculs aSPe/ULiège
Figure 5 - Pourcentage d’enseignants du premier cycle du secondaire d’accord ou tout à fait d’accord avec les affirmations relatives à leur satisfaction à l’égard de la profession
Pourcentage d’enseignants d’accord ou tout à fait d’accord avec ces affirmations relatives à leur satisfaction à l’égard de la profession. Un pourcentage comparable à la moyenne des six pays/ régions comparables (Angleterre, Autriche, Communauté flamande, Finlande, France et Pays-Bas).
Source : OCDÉ TALIS 2018 ; Calculs aSPe/ULiège
Des enseignants parlent aux enseignants - Résultats de l'enquête TALIS 2018
Des enseignants parlent aux enseignants présente les principaux résultats de l’enquête TALIS 2018 en Fédération Wallonie-Bruxelles.
Ce document offre une perspective synthétique, visuelle et contextualisée du métier d’enseignant et de chef d’établissement. Il analyse les environnements d’enseignement et d’apprentissage en Belgique francophone à l’aune des réformes et enjeux de la société de demain.
Des enseignants parlent aux enseignants ainsi que les premiers résultats de l'enquête, questionnaires, brochures en bref et présentations des représentants l'Université de Liège (pour la FW-B), du département Enseignement-formation de la Communauté flamande, du Ministère de l'Éducation française, sont disponibles via www.enseignement.be/talis.
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