Magazine PROF n°6
Dossier Remédiation : prévenir ou guérir ?
Le poids des mots, le choc des réalités
Article publié le 01 / 06 / 2010.
Rattrapage, remédiation, pédagogie différenciée… Quelles nuances? Et puis, quand, où et comment « remédier » ?
Remédiation ? D’emblée, le dictionnaire évoque un dispositif pédagogique mis en place après évaluation d’un élève pour combler des lacunes ou corriger des apprentissages erronés.
Depuis plusieurs années pourtant, souffle le vent de la « remédiation apriori » qui veut, selon Michel Perraudeau, docteur en Sciences de l’éducation, « anticiper les difficultés d’apprentissage en prévoyant les besoins, les ressources et les processus nécessaires ». Comment anticiper ? Par une pédagogie différenciée par laquelle les enseignants tiennent compte des différences entre élèves, en termes d’acquis ou de procédures d’apprentissage, et proposent plusieurs façons de les amener à maitriser une compétence. En quelque sorte, il s’agit de rendre la remédiation inutile.
Bien mince est la distinction entre cette pédagogie différenciée et la remédiation immédiate ; celle-ci s’appuie sur la conviction que plus la correction est proche de l’erreur, plus vite la lacune est comblée, plus l’efficacité sera au rendez-vous. Cela suppose de pratiquer l’évaluation formative : celle-ci, qui s’effectue en cours d’activité, vise à apprécier le progrès accompli par l’élève et à comprendre la nature des difficultés qu’il rencontre. Objectif : améliorer, corriger ou réajuster son cheminement.
Les écoles interprètent et déclinent ces concepts de manière très diverses (1). Certaines jouent sur les structures en faisant intervenir plusieurs enseignants dans la classe, en pratiquant le tutorat entre pairs (au sein de la classe ou entre classes de différents niveaux), en créant des groupes de niveau ou des groupes de besoin. Des enseignants différencient les contenus en donnant à leurs élèves des consignes ou des tâches différentes. Ou, en s’appuyant sur certaines techniques (la gestion mentale, par exemple) varient les processus d’apprentissage en proposant texte, graphique, manipulation,…
Une autre voie, c’est la remédiation structurelle, « après coup » – encore appelée l’occasion « rattrapage » ou « remédiation individuelle » – qui ne devrait intervenir que dans le cas de grosses lacunes à combler. Et être idéalement une re-médiation faisant appel à d’autres méthodes d’apprentissages que celles qui ont entrainé l’échec. Bernard Rey, professeur en sciences de l’éducation à l’ULB, le souligne : « Les apprentissages nécessitent la répétition pour acquérir des automatismes mais aussi la modification des schèmes de pensées (la manière de voir les choses), ce qui suppose un déclic. Quand celui-ci ne se produit pas, la logique de répétition n’est pas la bonne solution » (2).
Accompagner l’élève pour que réussir devienne son projet
Cette remédiation-là souvent pratiquée dans le secondaire nécessite certaines conditions favorables. Dans une enquête, des enseignants du premier degré citent notamment l’organisation d’heures de cours en demi-groupes au sein de la classe pour effectuer un travail différencié avec les plus faibles. Ou des groupes de rattrapage formés dans chaque branche et par tous les enseignants du niveau, sur la base d’une épreuve identique. Ou encore la prise en charge de l’élève par son enseignant et une meilleure communication entre le titulaire et celui qui se charge de la remédiation (3).
Aucune étude globale ne recense ni ne quantifie les pratiques de remédiation mises en œuvre dans les écoles. Des tendances ? « Il semble que malgré la volonté et le travail des enseignants, la plupart des interventions se produisent quand le mal est fait, observe Léonard Guillaume, qui a rassemblé dans un ouvrage, avec Jean-François Manil, des pratiques de différenciation observées ou expérimentées dans leur parcours d’instituteurs et de formateurs d’adultes (4). Les freins à la différenciation des apprentissages sont multiples : manque de temps, de formation initiale, tendance à reproduire le type d’enseignement frontal que l’on a connu soi-même, difficultés à prendre en compte l’hétérogénéité des apprenants, focalisation sur les contenus davantage que sur les personnes… ». On ajoutera le surcroit de travail, le changement parfois difficile dans l’organisation de la classe, la conviction que tous les enfants doivent apprendre de la même façon, la crainte du regard porté par les enseignants des années supérieures,…
« Différencier est bien difficile pour beaucoup d’enseignants du secondaire confrontés à une vingtaine d’élèves pendant 50 minutes, ajoute Alain Faure, qui fut préfet de l’Athénée Leonardo da Vinci à Bruxelles. Un des axes à développer, c’est de les outiller en techniques de communication et de gestion de groupes, car les perturbations sont souvent liées à des approches différentes de la matière par les élèves ».
Anne Chevalier, secrétaire générale du mouvement ChanGements pour l’égalité, qui a enseigné les mathématiques dans l’enseignement secondaire, prône une autre approche. « Sortir de la classe un élève en échec pour lui proposer un peu plus de la même chose, ne sert souvent à rien. Parce que l’enseignant se place alors dans le registre du parent normatif ou sauveur. Plutôt que d’obliger l’élève en difficultés à se soumettre au modèle proposé par l’adulte, mieux vaut l’aider à analyser la situation, à découvrir ses représentations, ses blocages, ses forces, et l’accompagner pour que réussir devienne son choix, son projet. Pas toujours facile pour l’enseignant dont le métier est de faire comprendre et qui ne dispose pas nécessairement d’outils de communication appropriés ! »
Catherine MOREAU
(1) DESCAMPE S., ROBIN F., TREMBLAY Ph. et REY B., Pratiques de pédagogie différenciée à l’école primaire, Services des sciences de l’éducation de l’ULB. http://www.enseignement.be/index.php?page=24873
(2) Idem
(3) Facultés Universitaires Notre Dame de la Paix, département Éducation et Technologie, Pour une pédagogie de la réussite au premier degré de l’enseignement secondaire – rapport de recherche – Mise en relation des difficultés et des moyens d’action pour y répondre – Difficultés liées aux remédiations, 2003, étude consultée le 19/05/2010. http://bit.ly/aWRBo8
(4) GUILLAUME L., et MANIL J.-F., La rage de faire apprendre. De la remédiation à la différenciation, Paris, Ed. Jourdan, 2006
Moteur de recherche
Tous les dossiers
Retrouvez également tous les dossiers de PROF regroupés en une seule page !