Magazine PROF n°54
Dossier Lutter contre le (cyber)harcèlement entre élèves
Une dynamique de groupe nuisible à tous
Article publié le 03 / 06 / 2012.
Bousculades dans les escaliers, moqueries appuyées, mise à l’écart d’élèves, partage sur les réseaux sociaux de messages stigmatisants… : quand la spirale s’enclenche.
Le sujet du harcèlement entre élèves demeure encore parfois mal compris, malgré les nombreux ouvrages scientifiques qui lui sont consacrés. Dans un livre récent, Le harcèlement à l’école (1), Benoît Galand, professeur à la Faculté de psychologie et des sciences de l'éducation de l’UCLouvain, s’appuie sur ces recherches pour passer au crible une dizaine de mythes ou réalités sur le phénomène, afin de bien le comprendre, pour mieux prévenir et réagir.
En se focalisant sur le harcèlement entre élèves, M. Galand prévient cependant : le harcèlement peut aussi avoir lieu entre parents et enseignants, entre élèves et enseignants ou entre collègues. Et la dynamique à l’oeuvre est assez semblable à celle qui peut se développer au travail, au sein d’une fratrie, dans une relation amoureuse… On l’observe des classes de maternel jusqu’à l’enseignement supérieur et au-delà.
« Une forme de relation négative et bancale »
Depuis les travaux de Dan Olweus (2), les scientifiques s’accordent pour reconnaitre le harcèlement à trois caractéristiques cumulées : l’intention de faire du tort ; la nature répétitive des actions ; l’installation d’un rapport de domination, un « déséquilibre de pouvoir » entre l’élève qui harcèle et celui qui est victime du harcèlement.
« L’un se sent en position de force et l’autre se sent vulnérable et impuissant à mettre fin aux agressions, résume M. Galand. Plus qu’une forme particulière de comportement (atteinte verbale, physique, morale, matérielle, etc.), c’est donc plutôt une forme de relation négative et bancale inscrite dans une certaine durée, qui définit le harcèlement et le distingue d’autres types d’agression », comme les conflits ou les disputes, qui peuvent se résoudre différemment.
C’est aussi une relation qui s’inscrit dans un contexte collectif, les faits se déroulant fréquemment en présence (physique ou virtuelle) de pairs, voire d’adultes de l’école, qui sont alors témoins des événements, et dont les « réactions peuvent avoir des répercussions importantes sur la suite du harcèlement ». Une suite possiblement négative, donc, comme positive…
Quelles conséquences ?
Les effets sur les différentes parties concernées montrent des victimes en détresse, ne parvenant pas à mettre seules fin aux faits qu’elles subissent ; et des témoins, le plus souvent dans l’immobilisme, qui éprouvent du stress.
Qu’en est-il des harceleurs et harceleuses ? Sont-ils ou elles aussi en souffrance ? Avec une faible estime de soi, un manque de d’empathie ? La réponse à ces questions, études à l’appui, dévoile une réalité sans doute assez méconnue.
D’une part, une faible estime de soi n’apparait pas constituer une explication convaincante aux comportements de harcèlement. Et d’autre part, « la plupart des élèves qui en harcèlent d’autres ne semblent pas vraiment souffrir de déficits de compétences socioémotionnelles (…) Ils paraissent plutôt recourir à ces compétences de façon biaisée afin de légitimer leurs comportements à leurs propres yeux.
Un enjeu pour l’école comme pour ces élèves car des trois parties concernées par une situation de harcèlement, ils sont ceux qui ont le plus de risques de connaitre une suite de parcours problématique…
Enfin, le décrochage scolaire peut souvent se rattacher à un harcèlement, même si la corrélation n’est pas automatique.
Des éléments prédéterminant ?
Genres, âges, appartenance à des catégories socioéconomiques ou à un groupe minoritaire, ont-ils une incidence sur la prévalence de (cyber)harcèlement ?
Les garçons sont proportionnellement plus nombreux que les filles à être auteurs de harcèlement. Par ailleurs, la proportion d’élèves victimes de harcèlement est identique parmi les filles et les garçons. Les formes de harcèlement mises en oeuvre et subies et les liens entre implication dans du harcèlement et indicateurs psychosociaux sont similaires, quel que soit le genre.
Une augmentation du harcèlement à l’adolescence ? Au contraire, avec l’avancée en âge et la progression des compétences sociales des élèves, on assiste à la diminution de la proportion d’élèves impliqués. Le harcèlement peut alors évoluer vers des formes plus indirectes, parfois sexualisées.
Si quelques changements, à la hausse, dans la prévalence se manifestent au début de l’adolescence dans certains systèmes éducatifs (dont le nôtre), ils pourraient, davantage qu’à l’adolescence même, être liés à la transition primaire/secondaire.
Quant à l’origine socioéconomique, elle n’est pas un marqueur important : la proportion de harceleurs et harceleuses est la même dans tous les milieux sociaux. La proportion d’élèves victimes est un peu plus importante dans les groupes défavorisés, mais faiblement. D’autres caractéristiques, comme une orientation sexuelle minoritaire, de l’obésité ou un handicap, semblent en revanche constituer des facteurs de risques de victimisation, et le rôle des préjugés reste à approfondir.
Un enjeu majeur
Le nombre d’élèves concernés, contrairement à une idée répandue, n’est pas en augmentation.
Combien sont-ils ? Les chiffres de prévalence varient d’une étude à l’autre, en fonction de leurs choix méthodologiques, mais « on peut raisonnablement estimer qu’une proportion considérable des élèves est, chaque année, directement concernée par le harcèlement et le cyberharcèlement ».
Des réponses à l’école existent, et l’auteur y consacre la dernière partie de son ouvrage : « À travers leur vigilance et leurs pratiques éducatives, les membres des équipes éducatives, et les enseignants en particulier, jouent un rôle décisif dans la lutte contre le harcèlement. Il est par conséquent essentiel de les outiller et de les soutenir dans cette dimension de leur métier. »
(1) Paru aux éditions Retz, coll. « Mythes et réalités », 2021.
(2) Violences entre les élèves, harcèlement et brutalités : les faits, les solutions, 1999, ESF, coll. « Pédagogies ».
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