Magazine PROF n°12
Dossier Compétition ou coopération ?
La lutte contre l’échec s’organise
Article publié le 01 / 12 / 2011.
Le débat sur le redoublement a été relancé à la rentrée. Mais pas question de le bannir. D’ailleurs, qui peut croire qu’il suffirait de le faire pour résoudre la question de l’échec scolaire ?
Les sorties politiques de la rentrée ont remis la question du redoublement au devant de la scène médiatique. Deux mois plus tard, l’Association inter-réseaux des directeurs (AIDE) en a fait le thème de sa journée organisée au Salon Éducation. L’occasion pour Jean-Luc Adams, chef de cabinet de la ministre de l’Enseignement obligatoire, d’affirmer haut et fort qu’« on ne va pas décréter le bannissement du redoublement. Ça ne servirait à rien, parce que nous sommes face à un phénomène culturel » qui prend sa source dans le paradigme de la méritocratie qui a fondé historiquement notre école. « Et on ne s’attaque pas à un paradigme culturel en décrétant l’arrêt du redoublement ».
Certes, le paradigme méritocratique a pris du plomb dans l’aile. Nous ne sommes plus dans la situation où « l’échec scolaire résulte d’une volonté politique explicite, qui se traduit par une sélection précoce, une évaluation féroce, un curriculum élitaire, une organisation scolaire défavorable à toute différenciation de l’enseignement », selon les mots de Philippe Perrenoud (1). Mais plutôt à une époque où « ces divers éléments sont infléchis délibérément dans le sens d’une lutte contre l’échec scolaire : pédagogies de soutien, mesures de démocratisation, allégement des programmes, sélection retardée, zones d’éducation prioritaires, etc. » Ce qui donne une situation dans laquelle « diverses forces politiques et pédagogiques se neutralisent, aboutissant à une situation plus complexe, où l’engagement et les efforts de démocratisation des uns coexistent avec le fatalisme et l’élitisme des autres ».
Reste la force de conviction des uns, appuyée par la recherche en éducation, unanime à dénoncer le redoublement, jugé inefficace. inéquitable, inégalitaire et stigmatisant (2). « Inefficace du point de vue des progrès des élèves, résume la Ligue des familles (3). Le redoublement n’aide pas les élèves à repartir d’un bon pied. Au contraire, ceux qui redoublent se caractérisent par des compétences moins élevées que leurs condisciples du même âge qui, tout en éprouvant des difficultés scolaires, ont été promus ». Inéquitable parce que « les pratiques d’évaluation varient d’un établissement à l’autre et d’une classe à l’autre ». Inégalitaire parce que « le redoublement tend à creuser l’écart de performances entre les élèves à l’heure et les élèves en retard au cours de la scolarité ». Et stigmatisant parce qu’il « entraine des effets psychologiques négatifs comme la démotivation, le sentiment d’incompétence,… »
Dépasser la polémique
Les résultats de 40 ans de recherches font écrire à Marcel Crahay (dont on lira « Quelle pédagogie pour les élèves en difficulté scolaire ? » dans ce numéro) que « sauf à nier l’étendue des preuves et l’opiniâtreté des chercheurs à trouver la façon la plus valide d’appréhender les effets du redoublement, l’homme de raison doit admettre que les données de recherche ne plaident pas pour le maintien de cette pratique (…) »
« Du point de vue du chercheur, il semble urgent de dépasser la polémique à propos des effets du redoublement au primaire pour privilégier d’autres questionnements. Car si le redoublement ne constitue pas un moyen pour venir en aide aux élèves en difficulté, il parait opportun de chercher d’autres moyens pour résoudre cet important problème » (4). Sept ans après cet appel, la remise en cause du maintien en maternelle, les dispositions prises au 1er degré secondaire, l’accent mis sur la remédiation immédiate (lire « Remédiation : l'affaire de tous et à l'école ») ou encore la mise en place progressive de la certification par unités au 3e degré du qualifiant s’inscrivent clairement dans cette recherche de pistes alternatives au redoublement. Tout comme la plupart des projets d’écoles alternatives évoqués dans ce dossier (lire « Une école pour tous qui s'interdirait le redoublement »).
On le voit bien : il ne s’agit pas de décréter le non-redoublement. Si l’on veut lutter efficacement contre l’échec scolaire, il nous parait d’ailleurs indispensable de cesser de jeter l’anathème sur les uns en louant les autres pour leur posture démocratique. D’arrêter de faire comme s’il y avait d’un côté de vertueux enseignants soucieux de progrès social et de l’autre de ténébreux chevaliers d’un élitisme passé de mode. Car tous travaillent avec des élèves, et dans un système éducatif forgé par l’histoire…
Les « fonctions latentes » du redoublement
C’est ce que rappelle le sociologue de l’éducation Hugues Draelants : « L’attachement des enseignants à la pratique du redoublement est volontiers perçu comme la marque d’un comportement irrationnel ou comme le signe d’un conservatisme politique. Contre un tel réductionnisme, je suis parti du principe qu’il importe de quitter une attitude de dénonciation et de reconnaitre aux pratiques enseignantes leur part de rationalité et de justification. Si des formes de résistance au changement sont avérées (…), il s’agit de les prendre au sérieux. Démontrer que la pratique du redoublement est inefficace, donc erronée, est certes juste d’un point de vue pédagogique mais sociologiquement improductif. (…) Le changement en éducation ne peut en effet faire l’économie d’une compréhension pragmatique de la réalité que vivent les acteurs de terrain et d’une prise en compte du système tel qu’il est. Les politiques publiques font donc aussi partie du problème ».
Le chercheur s’est donc attaché à décrire les « fonctions latentes du redoublement » (5), qui « n’est pas juste un dispositif de remédiation. Ainsi, il est notoire que le redoublement est utilisé par certains établissements afin de sélectionner le public, d’opérer un tri entre les élèves, tant pour gérer l’hétérogénéité à l’intérieur de l’établissement et entre les classes que pour se positionner vis-à-vis des établissements environnants, dans une logique de concurrence ».
Par ailleurs, « couplé à l’évaluation normative, il sert à réguler l’ordre scolaire dans la classe, à motiver les élèves au travail ». Selon M. Draelants, « en manifestant de l’attachement au redoublement, les enseignants revendiquent donc non seulement leur autonomie individuelle, dans leur classe, mais également leur autonomie collective et professionnelle. L’attachement des enseignants au redoublement est au fond essentiellement un attachement indirect et pragmatique ».
Positionnement des établissements scolaires dans un quasi-marché ; mobilisation des élèves au travail (la fameuse épée de Damoclès) ; tri et gestion de l’hétérogénéité (fonction profondément ancrée dans un système répartissant rapidement les élèves entre les filières) ; défense du pouvoir de l’enseignant qui consiste à évaluer, décider de la réussite ou de l’échec et à orienter les élèves : « le maintien des pratiques de redoublement s’explique par un ensemble de facteurs faisant système, dont certains débordent du cadre de la classe », résume le sociologue. Changer les pratiques suppose donc d’intervenir sur certains paramètres structurels…
Une question de résistance
Faut-il pour autant attendre que le système change pour s’interroger et mettre en place autre chose ? Évidement non. Une étude portant sur des écoles publiques du canton de Genève souligne que le redoublement est moins fréquent quand les instituteurs suivent leurs écoliers deux années de suite… Le souci de ne pas transmettre au collègue un élève qui n’aurait pas le niveau est bien documenté. Comme le revendique Jean-Pierre Coenen, instituteur et président de la Ligue des Droits de l’Enfant (lire « Une "école pour tous" qui s'interdirati le redoublement »), tourner le dos au redoublement est aussi une question de décision personnelle, voire de résistance…
La décision prise, seul ou, mieux, en équipe, le travail commence… Fait de doutes, de tâtonnements, d’essais et erreurs. Un travail nécessairement adapté aux réalités locales, ce qui rend les dispositifs mis en place moins lisibles qu’un redoublement sec et net. À en juger par la présence massive d’enseignants et de directeurs lors du séminaire de la Fondation Roi Baudouin sur la remédiation (lire « Remédiation : l'affaire de tous et à l'école », par l’intérêt des directeurs invités à Namur à l’égard du projet Synergie (6) mis en place dans la région de Charleroi, mais aussi par l’abondante littérature sur ces pratiques (7), le train semble en marche…
(1) Dans PERRENOUD Ph., « La triple fabrication de l’échec scolaire », dans PIERREHUMBERT B. (dir.), L’échec à l’école : échec de l’école, Delachaux et Niestlé, Paris, 1992, p. 85-102. Publié auparavant dans Psychologie française, n°34/4, 1989, p. 237-245.
(2) Lire à ce sujet CRAHAY M., Peut-on lutter contre l’échec scolaire ?, éd. De Boeck Université, coll. Pédagogies en développement, 3e éd., Bruxelles, 2007.
(3) Dans « Faut-il continuer à investir dans l’échec scolaire…? », analyse du Service d’études de la Ligue des familles, dans le cadre de sa campagne « L’école en questions », janvier 2010.
https://www.laligue.be/association/engagements/nos-engagements-prioritaires/une-ecole-de-qualite-pour-tous/analyses-ecole
(4) CRAHAY M., « Peut-on conclure à propos des effets du redoublement ? », dans Revue Française de Pédagogie, n°148, juillet-aout-septembre 2004, p. 11-23.
http://www.inrp.fr/publications/edition-electronique/revue-francaise-de-pedagogie/INRP_RF148_2.pdf
(5) Dans DRAELANTS H., « Les injonctions institutionnelles ne peuvent suffire ! », dans Quelles alternatives au redoublement ?, coll. des hors série numériques (n°19) du CRAP-Cahiers pédagogiques, octobre 2009.
http://www.cahiers-pedagogiques.com/spip.php?article6451
Lire aussi à ce sujet DRAELANTS, H., Réforme pédagogique et légitimation. Le cas d’une politique de lutte contre le redoublement, éd. De Boeck Université, coll. Pédagogies en développement, Bruxelles, 2009.
(6) Lire à ce sujet l’interview de Xavier Dejemeppe dans La Libre Belgique du 24 octobre 2011.
(7) On en lira des exemples français dans Quelles alternatives au redoublement ?, op. cit.
Retard scolaire : deux passages délicats
En Belgique, comme en France, en Espagne, au Portugal ou au Luxembourg, quelque 35% des élèves soumis au test PISA 2009 disent avoir déjà redoublé. Même si la moyenne OCDE de 13% est influencée par des systèmes éducatifs pratiquant la promotion automatique, et donc le non-redoublement, un tel taux de retard scolaire pose question.
En Fédération Wallonie-Bruxelles, « en moyenne, un enfant sur cinq est en retard scolaire en primaire et près d’un sur deux en secondaire. On observe une diminution lente et continue du taux de retard puis une inversion de la tendance, à partir de 1999-2000dans le primaire et 2001-2002 dans le secondaire » (1).
Si l’on prend une photographie du retard scolaire en 2009-2010, sa progression est quasi linéaire dès la 3e maternelle. « Il y a néanmoins deux sauts importants : d’une part entre la 6e primaire et la 1re secondaire (de 22 à 38% de retard), puis d’autre part entre les 2e et 3e années de l’enseignement secondaire (le retard passe de 35% à 52%) » (2).
(1) Les indicateurs de l’enseignement, 2011, p. 34. http://www.enseignement.be/indicateursenseignement
(2) Id.
Moteur de recherche
Tous les dossiers
Retrouvez également tous les dossiers de PROF regroupés en une seule page !