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Magazine PROF n°12

 

Dossier Compétition ou coopération ?

Un cout financier, mais aussi social

Article publié le 01 / 12 / 2011.

Il existe deux manières d’appréhender la charge financière que représente le redoublement. Aucune ne tient compte de son cout social. Et toutes deux sont clairement des estimations. Explications.

Consacrer deux pages de ce dossier au cout du redoublement ne doit pas accréditer l’idée que nous résumons l’échec scolaire à une équation comptable. Une abondante littérature développe les effets néfastes du redoublement sur la motivation et l’estime de soi. Mais il nous semble utile de fixer les esprits, à l’heure où la volonté politique affichée consiste à transférer les marges financières dégagées par la réduction du redoublement vers l’école de la réussite.

Une première estimation de la charge du redoublement consiste à multiplier par le nombre de redoublants le cout moyen d’une année scolaire pour un élève. On cible ici uniquement les dépenses à charge du budget de la Fédération Wallonie-Bruxelles, qui doit financer une année d’études de plus. Comme le précisent Les indicateurs de l’enseignement (1), il s’agit là d’un cout théorique. C’est sur cette base que divers acteurs de l’enseignement, et les médias généralistes, évoquent régulièrement un cout de l’ordre de 350 millions d’euros.

L’infographie « Selon l'OCDÉ, le redoublement couterait en Belgique près de 12% des dépenses d'enseignement » fait état de l’évolution de ce cout. En valeur absolue, il affiche une très nette hausse, mais en part relative du budget consacré à l’enseignement obligatoire, il convient plutôt de parler de stagnation. Ceci étant, le surcout théorique est « probablement sous-estimé au niveau du secondaire par le fait que les taux de redoublement les plus élevés s’observent dans l’enseignement qualifiant, plus cher » (2).

Un manque à gagner pour l’économie

Ce montant de 400millions constitue bien une estimation. Tout comme la fourchette de 1,777 à 2,286 milliards de dollars PPA (3), citée par l’OCDÉ pour la Belgique. Ces estimations « ne rendent pas compte des bénéfices potentiels du redoublement » (un élève ayant redoublé pourrait être mieux préparé au marché du travail) ni, dans les pays qui ne pratiquent pas le redoublement, des dépenses liées aux dispositifs de soutien aux élèves en difficulté (4).

Comment les analystes de l’OCDÉ arrivent-ils à ce chiffre ? En ajoutant aux couts à charge des budgets de l’enseignement (uniquement de 6 à 15 ans, afin de comparer tous les pays) une estimation du manque à gagner pour l’économie du pays, liée à l’arrivée tardive de ces élèves redoublants sur le marché du travail. La fourchette tient au fait que l’OCDÉ émet deux hypothèses : l’une, basse, dans laquelle les redoublants ne récupèrent pas leur retard et arrivent sur le marché du travail moins qualifiés ; l’autre, haute, dans laquelle ils atteignent la même qualification, mais avec un an de retard. L’hypothèse basse aboutit à un cout par élève de 14 916 dollars PPA, ce qui correspond selon cette analyse à 11,8% des dépenses d’enseignement des 6-15 ans.

Administrateur délégué de la BECI (Chambre de commerce et Union des entreprises de Bruxelles), Olivier Willocx a appliqué le raisonnement de l’OCDÉ à la Fédération Wallonie-Bruxelles. Il a multiplié le nombre de redoublants de secondaire en 2008-2009 (46 184, soit 13,7% du total des élèves de secondaire ordinaire) par le manque à gagner pour la collectivité. « Une entrée plus tardive dans la vie active est un manque à gagner de 52 500 € pour la collectivité par élève et par an », estimait-il dans un communiqué du 2 septembre 2011. Soit le cout salarial moyen qui retourne à la collectivité via les charges patronales et sociales, les impôts sur le revenu, les dépenses et les investissements individuels. « Avec 46 184 élèves qui ont doublé en 2008-2009, on compte ainsi une perte de 2,4 milliards d’euros par an ».

Autant d’estimations à verser au dossier à charge du redoublement, mais qui ne disent rien sur son cout social, et encore moins sur la façon d’agir pour lui tourner le dos…

(1) Lire à ce sujet l’indicateur 5 et plus précisément 5.5. http://www.enseignement.be/indicateursenseignement.
(2) Les indicateurs de l’enseignement, 6e édition, 2011, p. 16.
(3) La loi de Parité du Pouvoir d'Achat (PPA) est une loi de nature macroéconomique qui exprime un cout égal du « panier de la ménagère » dans tous les pays ayant un niveau de vie raisonnablement comparable. https://www.glossaire-international.com/pages/tous-les-termes/parite-de-pouvoir-d-achat.html
(4) « Redoublement et transfert des élèves : Quel impact pour les systèmes d’éducation ? » dans PISA à la loupe, 2011/6, OCDÉ, juillet 2011, p.3. http://www.oecd-ilibrary.org/fr/education/redoublement-et-transfert-des-eleves_5k9h2r5v0v0x-fr

Le prix de l’inaction

L’OCDÉ a estimé le cout du redoublement à une fourchette de 1,7 à 2,2 milliards de dollars, pour la Belgique. L’Organisation pour la coopération et le développement économiques va plus loin, en estimant le gain que les pays pourraient tire d’une amélioration des performances de ses élèves. Il ne s’agit plus de mesurer le cout du redoublement pour les économies étudiées, mais d’estimer ce qu’elle appelle « le prix de l’inaction ».

Certes, les analystes de l’OCDÉ y vont avec des pincettes, multipliant les précautions d’usage à propos de leur modélisation (1). Il s’agit d’estimer le rendement économique d’une amélioration de 25 points des performances des élèves aux enquêtes PISA, à condition que cette amélioration se maintienne. Conclusion générale : le produit intérieur brut (PIB) de l’OCDE pourrait croitre de 3% à l’horizon 2040, de 5% en 2050, de 15% en 2070, et ainsi de suite puisque l’effet de cette amélioration serait cumulatif.

Et l’OCDÉ d’appliquer cette analyse à tous les pays, selon trois scénarios : + 25 points aux enquêtes PISA ; amener le score moyen au niveau finlandais ; ou amener tous ses élèves à un minimum de 400 points. Exemple : sans amélioration, le PIB de la France « serait de 3638 milliards (de dollars) en 2042 ». Si les élèves français atteignaient le niveau finlandais, son PIB augmenterait de 111 milliards. Maintenir cette performance jusqu’en 2090 générerait pour la France plus de 6000 milliards de dollars…

Appliquée à la Belgique, l’analyse évoque des gains de 1100 à 1500 milliards de dollars. La croissance du PIB serait ainsi « dopée » de plus de 0,5%. L’OCDÉ souligne que pour notre pays, le troisième scénario serait le plus porteur : réduire le différentiel de performances entre élèves rapporterait plus à notre économie qu’amener le score moyen à hauteur de la Finlande. Et c’est encore plus vrai pour la Fédération Wallonie-Bruxelles.

Ceci étant, cette analyse strictement économique ne dit rien des réformes à entreprendre, et ses auteurs sont bien conscients de la difficulté à engager aujourd’hui des réformes qui ne porteront leurs fruits que dans plusieurs décennies…

(1) « Le cout élevé des faibles performances éducatives. Impact économique à long terme d’une amélioration des résultats au PISA », Programme international pour le suivi des acquis des élèves, OCDÉ, 2010.
https://www.oecd-ilibrary.org/education/le-cout-eleve-des-faibles-performances-educatives_9789264087668-fr