Magazine PROF n°14
Dossier Le plan individuel d’apprentissage
Développer une expertise commune
Article publié le 01 / 06 / 2012.
Vivre le Plan individuel d’apprentissage (PIA) comme une obligation administrative revient à perdre son temps. Par contre, s’y investir en équipe avec le souci de développer une expertise commune, c’est possible et souvent enthousiasmant, même si cela suppose un fameux travail et une démarche bien claire.
PIA. Depuis huit ans, les équipes de l’enseignement spécialisé vivent avec ces trois initiales, dont on ne peut pas dire qu’elles soient totalement digérées. Comment en serait-il autrement dans l’ordinaire, où l’obligation de rédiger un PIA pour certains élèves date de la rentrée 2008 ? On comprend la prudence des pilotes de notre système éducatif, qui attendent avant d’aller plus loin (1) qu’une vision claire de la démarche prenne le pas sur son image de corvée administrative.
L’enjeu est important. À observer les projets qui s’élaborent ci et là (Décolâge ! entre 2,5 et 8 ans, certification par unités au 3e degré secondaire qualifiant,projet de vie 16-25 ans pour les jeunes qui vont quitter le secondaire spécialisé,…), on voit bien que la notion d’accompagnement individualisé et pluridisciplinaire se développe, de même que l’importance de la transmission d’informations (d’une équipe, d’un niveau ou d’une structure à l’autre).
Ainsi, dans son rapport 2010, le Service général de l’Inspection « recommande qu’une attention importante soit consacrée à la communication entre l’enseignant titulaire et celui chargé de la remédiation à propos notamment des difficultés rencontrées, des lacunes à combler, des avancées réalisées et des stratégies mises en place » . Il estime que le PIA pourrait devenir dans l’enseignement ordinaire aussi « un vecteur efficace de cette communication » (2). Que l’on consigne ce travail dans un PIA, un dossier d’apprentissage ou ailleurs encore, c’est la démarche qui donnera du sens au travail d’équipe.
Retrouver du sens
Car il s’agit bien de cela. Spécialiste de la psychologie et de la pédagogie de la personne handicapée, le Pr Jean-Jacques Detraux (ULg) n’a de cesse depuis le début de sa carrière, dans l’enseignement spécialisé notamment, de « faire travailler ensemble des gens de disciplines différentes, qui ont des regards différents » sur les élèves, et de « tenter de former des langages communs. Le travail en classe se nourrit des apports de chacun. Or, aucune formation n’a intégré cette idée de travailler en pluridisciplinarité ! »
Mais avant de proposer des façons d’organiser cette pluridisciplinarité, le Pr Detraux insiste sur la place de l’élève dans la démarche. « Tant qu’on part de l’idée que l’enfant a des besoins spécifiques – une notion qui n’a aucun fondement scientifique -, on n’avance pas. Il faut quitter cette vision de l’enfant comme objet de traitements, qu’il faut réparer, et le voir comme un sujet acteur d’un processus. C’est l’idée du PIA, qu’on l’appelle comme ça ou autrement ! Je fais beaucoup de suivis en intégration, tous les deux mois environ. L’enfant est là, et bien souvent il nous aide à mieux comprendre… »
Quand il intervient pour accompagner une démarche de type PIA, le Pr Detraux commence par demander aux uns et aux autres d’élaborer un protocole commun, par discipline dans un premier temps, pour l’ensemble ensuite. « Je suis frappé de voir que des gens qui travaillent parfois ensemble depuis vingt ans se découvrent à cette occasion. C’est quand même un problème ! » L’objectif ? « Faire en sorte que de l’information soit disponible facilement et circule entre les différents professionnels de l’équipe, dans le respect du secret professionnel partagé ».
Question d’organisation
Ensuite, lors des réunions de type PIA, il s’agit d’analyser les évolutions de l’élève. Et de le faire de façon structurée, organisée. C’est ici que les questions d’organisation influent très directement sur la qualité du travail. Il est illusoire de penser que le titulaire, par exemple, va pouvoir à la fois apporter l’analyse qu’il s’est forgée après consultation des collègues, animer la réunion et en assurer le secrétariat !
Comme le préconise aussi Francis Bruyndonckx, qui anime des formations IFC sur le PIA, le Pr Detraux suggère des grilles d’observation, que chaque équipe adapte et améliore en continu. Cette phase d’observation est également organisée : tous y participent durant un temps défini.
« Pourquoi l’enseignant n’irait-il pas observer l’enfant lors de sa séance de kiné ? Ou quand il mange ? » Quand elles sont communiquées aux parents, ces grilles permettent leur implication.
En conseil de classe, il s’agit alors de confronter les points de vue disciplinaires pour préciser l’analyse : « On sait aujourd’hui que l’expression des compétences va dépendre des contextes », rappelle M. Detraux qui insiste sur les divergences d’observation, afin d’affiner le regard puis d’émettre des hypothèses et d’avancer des pistes de travail.
Depuis deux ans, l’équipe du Pr Detraux accompagne quatre écoles fondamentales d’enseignement spécialisé des environs de Liège, dans leur démarche PIA. Un axe important du travail concerne la transmission et la mise à disposition des informations qui, ici, sont accessibles en temps réel via une application en ligne. Ce qui suppose une conception très claire de ce qui peut être partagé et/ou divulgué.
Toutes les équipes sont-elles armées pour se lancer dans cette démarche ? « Le rythme va dépendre de l’énergie qui y est mise et de la réalité de terrain, mais l’école a toujours beaucoup plus de capacités qu’elle le pense au départ…»
(1) La Commission de pilotage propose qu’un PIA soit rédigé pour tout élève inscrit en 1re ou en 2e différenciée, mais recommande avant cela une période d’observation des pratiques d’utilisation du PIA dans le 1er degré commun et de préparation des équipes éducatives à son utilisation.
(2) Rapport établi par le Service général de l’Inspection au terme de l’année scolaire 2009-2010, AGERS – Service général de l’Inspecion, octobre 2010, p. 9. http://www.enseignement.be/index.php?page=24234
Obligatoire dans le spécialisé et au 1er degré du secondaire ordinaire
Le PIA fait son apparition dans les textes règlementaires en 2004, dans le décret organisant l’enseignement spécialisé (1), qui le définit comme un
« outil méthodologique élaboré pour chaque élève et ajusté durant toute sa scolarité par le Conseil de classe, sur la base des observations fournies par ses différents membres et des données communiquées par l'organisme de guidance des élèves. Il énumère des objectifs particuliers à atteindre durant une période déterminée. C'est à partir des données du PIA que chaque membre de l'équipe pluridisciplinaire met en œuvre le travail d'éducation, de rééducation et de formation ».
Le décret se termine par une suggestion – « L'élève et ses parents peuvent être associés à son élaboration » – modifiée en 2011. Un nouvel article 9 stipule que « L'élève et ses parents ou, à défaut, leur délégué, sont invités à l'élaboration du PIA ». L’idéal est évidemment de les y impliquer.
En vertu de ce décret, le PIA est l’affaire du conseil de classe qui, assisté de l'organisme chargé de la guidance, a notamment pour missions :
- « 1° d’élaborer et ajuster pour chaque élève, un plan individuel d'apprentissage qui coordonne les activités pédagogiques, paramédicales, sociales et psychologiques ; »
- « 2° d’évaluer les progrès et les résultats de chaque élève en vue d'ajuster le plan individuel d'apprentissage ; … »
Dans le spécialisé, du temps est explicitement prévu à cet effet : « Les membres du Conseil de classe assurent la gestion hebdomadaire du plan individuel d'apprentissage de chacun de ses élèves durant les périodes de conseil de classe prévues dans leur grille-horaire ».
Depuis, le PIA s’est exporté vers l’enseignement ordinaire. Notre dossier consacré à l’intégration des enfants à besoins spécifiques (2) a fait écho à son utilisation dans ce cadre spécifique, où il est un trait d’union entre le jeune, ses parents et les enseignants des deux écoles concernées par le projet d’intégration.
Pour les élèves orientés vers une année complémentaire
En 2007, le décret « organisant la différenciation structurelle au sein du 1er degré afin d'amener l'ensemble des élèves à la maitrise des socles de compétences » (3) témoigne du crédit que le législateur accorde au PIA comme outil d’accompagnement des élèves en difficulté.
Ce texte, qui vient modifier le décret 1er degré (4), impose l’élaboration d’un PIA dès que le Conseil de Guidance « estime que l'élève rencontre des difficultés d'apprentissage telles qu'une orientation vers une année complémentaire est envisagée ». Ce PIA doit reprendre « les remédiations à mettre en place d'ici la fin de l'année scolaire en cours et durant l'année scolaire suivante, le cas échéant dans une année complémentaire ».
À fortiori, quand un élève est effectivement orienté vers une année complémentaire, un PIA est rédigé, qui comprend « notamment l'horaire hebdomadaire suivi par l'élève (…) établi en fonction des besoins de l'élève (…) Cet horaire peut comprendre pour partie la participation à des cours organisés au bénéfice des élèves de 1re ou de 2e année commune ».
« Ce plan individuel d'apprentissage est présenté, avant le début de l'année scolaire concernée, à l'élève ainsi qu'à ses parents (…) par le chef d'établissement ou son délégué accompagné éventuellement d'un autre membre de l'équipe pédagogique ou d'un membre du CPMS concerné ».
Lors de chacune de ses réunions (minimum trois sur l’année scolaire), le Conseil de Guidance « examine la situation de tout élève inscrit dans une année complémentaire » et « peut revoir et adapter régulièrement le PIA en fonction de l'évolution de l'élève. Ce dernier ainsi que ses parents ou la personne investie de l'autorité parentale en sont immédiatement informés ».
La même disposition concerne les élèves orientés vers la 3e année de différenciation et d’orientation. Le PIA est alors « élaboré en lien avec la maîtrise des compétences attendues à la fin de la 3e étape du continuum pédagogique ». Il est également présenté à l’élève et à ses parents, et revu ou adapté en fonction de l’évolution de l’élève.
(1) https://www.gallilex.cfwb.be/document/pdf/28737_018.pdf
(2) « L’intégration, une lame de fond », dossier paru dans notre numéro de septembre 2009.
http://www.enseignement.be/prof
(3) Paru au Moniteur le 26 février 2008 et entré en vigueur à la rentrée suivante.
https://www.gallilex.cfwb.be/document/pdf/32760_000.pdf
(4) Paru au Moniteur le 31 aout 2006.
http://www.gallilex.cfwb.be/fr/leg_res_01.php?ncda=30998&referant=l02
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