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Magazine PROF n°27

 

Dossier Mieux articuler enseignement, formation et emploi

Adéquationnisme ou mission prioritaire de l’école ?

Article publié le 01 / 09 / 2015.

En rapprochant l’école de la formation et de l’emploi, ne risque-t-on pas d’instrumentaliser l’enseignement ? L’avis de Nico Hirtt, un des fondateurs de l’Appel pour une école démocratique.

Nico Hirtt : « On forme des travailleurs adaptables, pas des acteurs de changement ».
Nico Hirtt : « On forme des travailleurs adaptables, pas des acteurs de changement ».
© PROF/FWB

PROF : Nico Hirtt, Dans de nombreux articles, vous dénoncez la mise en adéquation de l’enseignement avec les demandes du monde économique. Quels sont les risques pour les élèves ?
Nico Hirtt :
J’en vois deux. Que l’enseignement réduise ses contenus (en termes de savoirs et de compétences) aux attentes des entreprises. Et qu’il calque ses niveaux de formation aux niveaux de qualification requis par le marché du travail.

Si, depuis les années ’90, on veut de plus en plus de travailleurs hautement qualifiés, 60 % des postes créés aujourd’hui sont des emplois peu qualifiés. Ceux-ci concernent des tâches qui ne peuvent être automatisées, digitalisées ou délocalisées (dans les soins aux personnes, de la restauration, par exemple).

Ces tâches réclament des compétences multiples (linguistiques, relationnelles…). Pour les faire acquérir, la Commission européenne a défini des compétences-clés pour les jeunes et les adultes : communication en langue maternelle, en langues étrangères, compétences de base en sciences et technologies, sociales,… (1).

Ces compétences sont censées encourager la flexibilité et l’adaptabilité aux évolutions des technologies et aux métiers à venir. Et l’enseignement s’est adapté. Son rôle n’est plus d’apporter des savoirs, mais de transmettre des compétences transversales qui permettent à l’élève de mettre à jour ses connaissances et savoir-faire en fonction des besoins changeants de sa carrière professionnelle et des attentes de ses employeurs. Plus besoin donc d’étudier les grands concepts et les lois de la physique ou de la biologie du moment que l’on acquière des compétences de base en sciences et en technologie.

De cette façon, on appauvrit l’enseignement de sa dimension de former des citoyens. L’APED s’apprête à publier les résultats d’une enquête sur les savoirs élémentaires sur l’épuisement des ressources et de l’énergie et le réchauffement climatique. 60% des élèves de 5e et 6e secondaire, du général et du qualifiant, ne peuvent définir une énergie renouvelable ; 80% ignorent les causes du réchauffement climatique. Bref, le jeune est perdant : on en fait un travailleur adaptable non en développant sa compréhension du changement mais en brisant sa capacité de résistance au changement.

L’autre danger, c’est que l’enseignement se dualise et accroisse encore le fossé entre les performances des élèves. Il faut prendre conscience de ces deux dangers pour être capable d’y résister.

Un travail important a pourtant été mené pour remodeler les grilles du qualifiant. Cela ne contredit-il pas le discours adéquationniste ?
Cela peut s’interpréter de deux manières : moins de technologie, plus de compétences transversales (langues, lecture) pour accroitre l’adaptabilité. Ou bien, ce qui est mieux, donner une meilleure formation générale pour donner aux jeunes des clés pour comprendre le monde dans lequel ils vivent.

Je vois dans les premiers rapports du Pacte pour un Enseignement d’excellence une ébauche de prise de conscience des dangers que je cite. Le rapport met en garde contre « certains impératifs socio-économiques qui pourraient entrer en contradiction avec les autres missions de l’école, telles que la maitrise des savoirs fondamentaux et l’émancipation citoyenne » (2). J’espère que l’on ira plus loin que cette ébauche…

Olivier Remels, dans le Mémorandum de la Fondation pour l'enseignement (3), vous recommandez que l’on encourage les contacts entre élèves et entreprises pour contribuer à leur orientation, et cela dès le fondamental. N’est-ce pas une « instrumentalisation » de l’enseignement par les milieux socioéconomiques ?
Olivier Remels : Je pense qu’il faut sortir de cette posture opposant, de manière un peu artificielle, la préparation « des citoyens responsables, capables de contribuer au développement d'une société démocratique, solidaire, pluraliste et ouverte aux autres cultures » et l’ouverture aux métiers. N’oublions pas que le Décret Missions recommande aussi d’« amener tous les élèves à s'approprier des savoirs et à acquérir des compétences qui les rendent aptes à apprendre toute leur vie et à prendre une place active dans la vie économique, sociale et culturelle » (art.6, §2).

Le groupe de travail « Sens, valeurs, missions et objectifs de l’école du XXIe siècle », au sein du Pacte pour un Enseignement d’excellence, l’a aussi souligné : « il est important de décloisonner l’école, en favorisant ses relations avec les acteurs environnants afin d’éveiller […] l’envie des élèves de s’identifier à des parcours de vie, notamment dans le monde des entreprises…» L’éveil aux technologies et aux métiers y tient une place importante qui n’est pas antinomique avec le développement de la citoyenneté.

Si ce n’est pas la mission première de l’école de faire découvrir les différents métiers, c’est aussi son rôle d’éveiller chacun pour préparer une orientation positive. En particulier dans l’enseignement qualifiant, qui a pour but premier de former à un métier.

Je pense qu’il ne faut pas craindre l’adéquationnisme. Je le constate notamment dans le cadre des stages en entreprise pour les enseignants (Entr'apprendre). Ce que les entreprises attendent de l’école, c’est qu’elle développe avant tout le savoir-être des élèves ; qu’elle leur donne des compétences générales de base plutôt que des compétences techniques spécifiques pointues. Les entreprises savent que, de toute façon, sur ce plan-là, elles devront proposer des remises à niveau régulières à leur personnel. Elles demandent donc essentiellement des élèves capables d’apprendre et d’interagir avec leurs collègues.

Vous proposez aussi que l’on encourage la mise en pratique sous forme de stages pour les élèves. Y a-t-il assez d’entreprises disposées à accueillir ces jeunes dans les meilleures conditions ?
Le décret sur les stages prévoit des interactions sous différentes formes selon les degrés. Par ailleurs, on veut valoriser la formation en alternance, ce qui va aussi booster la demande. Cela va demander un engagement fort de plusieurs acteurs à différents niveaux.

Celui des partenaires réunis au sein du Service francophone des métiers et qualifications qui doivent poursuivre la définition des profils de formation par rapport aux profils métiers, et coupler chacun de ceux-ci au mode d’interaction avec l’entreprise qui convient pour chaque métier. Celui des entreprises, qui doivent ouvrir des places et accueillir, encadrer et suivre les élèves en priorité dans les métiers en demande, et veiller avec les écoles à l’adéquation entre demandes et offres. Et celui des élèves eux-mêmes, qui doivent  y investir intérêt et énergie.

Les bassins « enseignement formation emploi » sont une belle opportunité pour cette rencontre. Ils vont permettre, pour chaque région, d’identifier l’offre et la demande locales.

(1) Commission européenne, De nouvelles compétences pour de nouveaux emplois, 2009 http://bit.ly/1MsNRMN
(2) Rapport du Groupe de travail « Sens, valeurs, objectifs et missions de l'école du XXIe siècle »,  http://www.pactedexcellence.be/wp-content/uploads/2017/04/rapportGT2-VF.pdf
(3) http://www.fondation-enseignement.be > Publications