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Magazine PROF n°18

 

Dossier Du bon usage de la commémoration

Du bon usage de la commémoration

Article publié le 01 / 06 / 2013.

Jusqu’en 2018, un grand nombre de manifestations marqueront le centenaire de la Première Guerre mondiale. Les écoles sont invitées à y participer. Mais pourquoi commémorer et comment accorder commémoration et enseignement ?

© PROF/FWB

À l’Athénée royal Serge Creuz, à Bruxelles, un projet mené par une équipe d’enseignants a permis à un groupe multiculturel de prendre en compte des mémoires diverses : celle des combattants de la Deuxième Guerre mondiale, celle des déportés (juifs, tziganes, polonais,…) vers des camps d’extermination, mais aussi celle de ce bataillon marocain venu résister aux troupes allemandes en mai 1940 aux alentours de Gembloux . À l’école communale de Tintigny, des enseignantes emmènent leurs élèves, guidés par une historienne, sur les traces laissées dans le village par les combats de la Première Guerre mondiale.

On le verra dans ce dossier : la commémoration prend, à l’école, des visages divers, éloignés des seuls rassemblements traditionnels de classes devant le Monument aux morts, aux côtés de responsables communaux et d’anciens combattants.

Que signifie commémorer ? « C’est se souvenir ensemble d’évènements passés en tant qu’ils fondent notre identité, notre être ensemble et notre rapport au monde », explique l’historienne Laurence van Ypersele, qui préside le groupe de travail Commémorer 14-18, mis en place par le Gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles. La philosophe française Sophie Ernst (1) détaille les raisons de la commémoration : marquer sa reconnaissance envers les générations passées et les morts, tirer des leçons du passé et aussi construire une identité nationale collective.

Un choix d’évènements du passé

Laurence van Ypersele le précise : on ne commémore pas tout et n’importe quoi. « Il y a un choix du passé, qui permet d’affirmer des valeurs pour aujourd’hui. Cependant, ce choix ne peut être ni tout à fait arbitraire, ni en contradiction avec la vérité historique ».

Un choix d’évènements, d’abord : nous célébrons nos morts, nos victimes, nos héros. « En s’associant aux commémorations des victimes du nazisme, l’Allemagne a été très loin dans la mémoire antinaturelle », observe l’historienne. Et puis, on projette sur ces faits du passé un éclairage particulier. Laurence van Ypersele : « La commémoration du Centenaire de la Révolution française, par exemple, s’est accompagnée d’une exaltation des valeurs nationalistes. Normal : il fallait alors assoir la République. Pour le Bicentenaire, le projecteur a été davantage braqué sur les Droits de l’Homme, ce qui correspond à la sensibilité de la fin du 20e siècle ».

Depuis quand commémore-t-on ? Selon l’historien Georges Mosse, le culte des morts - et non pas d’un seul héros - s’est amplifié avec l’apparition, fin du 18e siècle, d’armées constituées de citoyens rassemblés pour un même idéal (2). Pierre Nora, un autre historien, fait remarquer que le phénomène s’est accentué dans les années ‘80, en écho aux mutations d’une société qui a pris conscience, alors, de l’effacement des traditions (3).

L’historien Philippe Raxhon, concepteur du parcours de l’exposition permanente Les Territoires de la Mémoire, à Liège, cite d’autres facteurs : la crise économique, mais aussi le retour, dans ces années 80, d’élus d’extrême-droite dans les assemblées parlementaires, mobilisant, notamment, les membres d’associations patriotiques. Il évoque la disparition progressive des rescapés des deux guerres et, plus tard, des évènements impensables comme la guerre en ex-Yougoslavie et le génocide au Rwanda.

Le 20e siècle a vu se développer la notion de « conscience historique » : il s’agit de tirer de l’expérience du passé des convictions et un idéal. « La conscience historique investit le passé de valeurs en choisissant les évènements qui ont une valeur symbolique telle qu’ils sont pour ainsi dire présents […] Elle projette sur le passé des valeurs qui participent de l’identité actuelle du groupe, pour en marquer la différenciation pour en faire des valeurs éternelles », écrit Nicole Tutiaux-Guillon, qui enseigne la didactique de l’histoire à l’Université de Lille (4).

Des valeurs pour aujourd’hui

En se remémorant le passé, on affirme donc des valeurs pour aujourd’hui. C’est notamment le cas pour la commémoration de la Première Guerre mondiale.

« Seul pays sur le front occidental à être quasi totalement occupé, la Belgique apparait a posteriori comme un véritable laboratoire conscient ou non des pratiques de violences extrêmes (y compris contre les civils) qui caractérisent l’ensemble du 20e siècle, explique Laurence van Ypersele. On peut se demander au nom de quelles valeurs des jeunes gens de 20 ans ont pu alors s’engager et tenir si longtemps ? »

« Commémorer 14-18 offrira l’occasion d’affirmer, en particulier à l’intention des jeunes générations, des valeurs toujours fondatrices pour notre société d’aujourd’hui, telles que l’attachement aux libertés fondamentales, le respect du droit, la démocratie, la résistance à l’oppression et la solidarité ».

Ces valeurs-là sous-tendent des initiatives prises depuis une vingtaine d’années en Fédération Wallonie-Bruxelles. En 1994, dans la foulée du 50e anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale et dans le contexte de la remontée de l’extrême-droite, la Fédération a développé une cellule de coordination pédagogique, Démocratie ou barbarie. Son objectif : sensibiliser les professeurs et les élèves des 2e et 3e degrés du secondaire à l’éducation citoyenne au travers du respect mutuel et de l’égalité des droits.

Pour les écoles fondamentales et le 1er degré du secondaire, la Fédération Wallonie-Bruxelles et la Région wallonne soutiennent le Carrefour régional et communautaire de la Citoyenneté et de la Démocratie (Creccide), qui développe des activités et des formations en matière d’éducation à la citoyenneté, dont le travail de mémoire.

En 2009, un décret (5) est venu compléter ces deux initiatives et braquer le projecteur sur la transmission de la mémoire des crimes de génocide, des crimes contre l'humanité, des crimes de guerre et des faits de résistance ou des mouvements ayant résisté aux régimes qui ont suscité ces crimes.

L’objectif de ce décret est de fournir à chacun et aux jeunes en particulier des instruments pour appréhender, analyser et comprendre ces événements et mesurer leur impact sur la société dans laquelle ils vivent. Parmi les outils mis en place figurent des appels à projets annuels portant notamment le recueil, la valorisation, l’exploitation, la préservation de témoignages et l’organisation de visites de lieux de mémoire.

(1) « La commémoration nous a installés dans un rapport au temps qui n’a rien de naturel », interview de Sophie Ernst sur  http://bit.ly/13dqAnE
(2) MOSSE G., De la Grande Guerre au totalitarisme. La brutalisation des sociétés européennes, Hachette, 1999.
(3) NORA P., Les lieux de mémoire, Paris, Gallimard, 1992.
(4) TUTIAUX-GUILLON N., NOURISSON D., Identités, mémoires, conscience historique, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2003.
(5) http://www.gallilex.cfwb.be/fr/leg_res_01.php?ncda=34031&referant=l04m