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Magazine PROF n°15

 

Dossier Comment attirer plus de jeunes vers les sciences ?

Une révolution copernicienne

Article publié le 01 / 09 / 2012.

Devant la pénurie de vocations scientifiques en Europe, malgré la croissance exponentielle du domaine des sciences et des technologies, beaucoup s’inquiètent d’une perte de maitrise technologique et d’un recul de l’esprit critique. PROF a rencontré trois experts qui, face à cette situation, prônent la stratégie de la tête bien faite plutôt que celle de la tête bien pleine.

© Fotolia/Andrey Kiselev

L’astrophysicien Rodrigo Alvarez dirige le Planétarium de Bruxelles. Philippe Léonard est à la tête de l’Expérimentarium de l’ULB et enseigne la physique à mi-temps dans le secondaire à l’Athénée royal d’Uccle 1. Jean-Pascal van Ypersele, professeur ordinaire à l'UCL, physicien, climatologue, est notamment vice-président du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, mandaté par les Nations Unies).

Pour nos trois interlocuteurs, le bien-être de la société occidentale repose sur des technologies à haute valeur ajoutée et la maîtrise technologique. Si l’Europe ne conserve pas cette main-mise, elle risque d’être dépassée par des pays émergents. Déjà en 2000, le sommet de Lisbonne avait donné à l’Europe l’objectif de « devenir l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde » (1). Or, nos trois experts confirment le déséquilibre entre la demande et le nombre de vocations pour les formations et métiers scientifiques, tant dans le domaine des sciences fondamentales qu’appliquées. M. van Ypersele estime que le réservoir de physiciens et de mathématiciens, trop limité, rend difficile le recrutement des chercheurs dans le domaine du climat.

De la méfiance

Cette désaffection induit en certains lieux du monde une méfiance voire une méconnaissance de la science, encore plus préoccupante si elle touche des décideurs. « Un groupe de municipalités côtières américaines, par exemple, a écarté un rapport scientifique sur la hausse du niveau des mers dont les résultats ne lui plaisaient pas », regrette M. van Ypersele. « Et si, globalement, aujourd’hui, par rapport au climat, les politiques bougent un petit peu plus qu’avant, les enjeux sont plus importants que ce qu’ils en ont compris ». On risque ainsi de mal gouverner ou de créer des situations très dommageables pour les êtres humains.

Les résultats de recherches scientifiques permettent de comprendre le fonctionnement de l’environnement et de la nature et d’amener les étudiants à un niveau de connaissance jamais atteint. Selon M. van Ypersele, la rupture de ce cycle amorce un cercle vicieux : « Combien de professeurs de physique aujourd’hui sont physiciens ? Combien enseignent par conviction ? S’ils passionnent moins les jeunes, que deviendra le réservoir de professeurs de sciences ? » M. Léonard complète : « Les besoins en profs augmentent, surtout parmi les jeunes, attirés par l’attrait financier du privé » (2).

Les enseignants

Un rapport européen (lire «Promouvoir une autre pédagogie») évoque « la façon dont les sciences sont enseignées dans les écoles. Les professionnels de l’éducation scientifique s’accordent à estimer la démarche d’investigation plus prometteuse que la déduction ». Or, elle est peu pratiquée. M. Léonard acquiesce : « L’enseignement par compétences n’a pas pris. En sciences, les profs font peu d’expériences. Quand ils en font, la démonstration l’emporte sur la main à la pâte ».

Est-ce une question de matériel ? Pour ce physicien, oui, il faut renouveler le matériel des écoles, peu moderne. Mais les profs ont peur d’acheter n’importe quoi. « Et si, dans le fondamental, on peut aller loin dans les expériences avec des bouts de ficelle, pour les ados du secondaire, le matériel plus professionnel est un attrait. Mais, avec six capteurs de mesure (150 € / pièce) raccordés à un ordinateur, on peut faire du bon travail ».

Par ailleurs, certains enseignants craignent de perdre du temps en utilisant les TIC, pour se former aux logiciels et les apprendre aux élèves. D’autres professeurs perdent du temps réellement : peu convaincus du bénéfice de l’apprentissage par l’expérience, ils refont un exposé magistral. « Ils voient la même matière deux fois, explique M. Léonard. Ils pourraient en faire l’économie en se reposant davantage sur les manuels, qui ont bien évolué ».

Peut-être craignent-ils le changement apporté par le matériel et les TIC ? « Aujourd’hui, les machines font les calculs, les rapports, les graphiques. On gagne du temps et les compétences changent ». Mais même avec du matériel, un groupe de 27 élèves en atelier, c’est difficile à gérer. « Avec du matériel pour former 7 groupes, en acceptant le bruit, le mouvement des élèves, une autre façon de gérer la classe, en l’animant, c’est jouable », répond-il.

Des pistes nouvelles

Pour ouvrir aux sciences, chacun contribue, en fonction de ses possibilités et de ses gouts. Selon M. van Ypersele, qui répond à nombre d’invitations pour expliquer les enjeux climatologiques au grand public et qui a notamment collaboré à l’exposition SOS Planète, à Liège, les initiatives publiques sont complémentaires. « Pourquoi ne pas réaliser une large table ronde sur l’éducation scientifique en Fédération Wallonie-Bruxelles, pour peu qu’on ait prévu un budget auparavant et que le rapport final ne soit pas rangé dans un tiroir ? » Sur ce plan, il rappelle que la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, issue du Sommet de Rio (1992) portait sur l’éducation au changement climatique et qu’en 2001, la présidence belge a tout fait pour le mettre en œuvre en Europe (3). Cela a débouché en 2002 sur un programme de travail des Nations Unies lié à cette thématique.

L’Europe finance des projets qui promeuvent l’attrait des sciences. Depuis le rapport Rocard, tout projet n’est accepté que s’il utilise la démarche scientifique. C’est d’ailleurs le cœur du projet Espace enseignement (lire «Espace et Enseignement : l'aventure continue») initié par l’Agence spatiale européenne (ESA) et la Direction générale de l’Enseignement obligatoire.

Les savoirs scientifiques sont en continuelle expansion. Tout apprendre aux élèves relève de la gageure. C’est une des difficultés de la construction de nouveaux référentiels (lire «Vers des référentiels plus balisés»). « Mais, explique M. Alvarez, il y a des incontournables, comme la rotation du soleil autour de la terre, une série de savoirs de base nécessaires pour lever le voile sur les apparences et développer l’esprit critique, nécessaire pour la vie citoyenne. Ces incontournables, on peut les lister et les cadrer davantage ».

Pour nos interlocuteurs, les résultats seraient meilleurs encore si la société valorisait davantage les métiers de transmission et de recherche des savoirs, de l’instituteur maternel au professeur d’université. M. Alvarez : « Le soutien à la recherche fondamentale, lié à la création d’emplois dans ce domaine, ne peut que créer un appel d’air pour les vocations ». M. van Ypersele le rejoint : « Une partie du problème se situe dans la valorisation sociale et économique de l’enseignement et des bons enseignants. Comment attirer des mouches avec du vinaigre ? »

Des partenaires nécessaires

Pour faire entrer plus rapidement la démarche scientifique dans les pratiques, le directeur de l’Expérimentarium prône, lui, une « nouvelle alliance » : « L’enseignement peut s’appuyer davantage sur les partenaires extérieurs : musées, ASBL,… Les partenaires s’investissent en didactique, les écoles gagnent en matériel et disponibilité ». Développer des instruments et des liens pour un enseignement par compétences basé sur la démarche scientifique, c’est l’esprit du projet européen Fibonacci, destiné au primaire et au début du secondaire. Bref, face au diagnostic, différents niveaux essaient de pallier les carences constatées. Les choses bougent, même si c’est difficile.

Pa. D.

(1) https://journals.openedition.org/ries/2411
(2) Ce que semble confirmer un tableau qui indique le pourcentage d'élèves dans les écoles signalant une difficulté liée à un manque de professeurs de mathématiques ou de sciences, dans SCHLEICHER A., Preparing Teachers and Developing School Leaders for the 21st Century: Lessons from around the World, OECD Publishing, 2012, p. 56.
https://www.oecd-ilibrary.org/education/preparing-teachers-and-developing-school-leaders-for-the-21st-century_9789264174559-en
(3) https://www.climat.be/files/4913/9825/8640/NC6_FR_LR.pdf