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Magazine PROF n°32

 

Dossier Maitrise de la langue d'enseignement

Maitriser la langue d'enseignement ? Pas si fasil !

Article publié le 01 / 01 / 2017.

Entre la cour de récré, où on se comprend à demi-mot, et la classe, où les apprentissages requièrent une bonne maitrise de la langue d’enseignement, il y a de la marge. Comment aider les enfants qui ne maitrisent pas la langue de l’école ? Quelles stratégies mettre en place ? Analyse et reportages dans des classes où la question se pose.

Dans la cour de récréation de cette école fondamentale multiculturelle ou au public précarisé, les enfants jouent, les gestes remplaçant parfois les mots. Quelques couloirs plus loin, en classe, leurs apprentissages scolaires requièrent l’usage de la langue d’enseignement. Laila, qui ne parle jamais dans les rangs, tire la jupe de l’institutrice ; Noé pique des colères et donne des coups de pied. Des indices d’un manque de maitrise de la langue d’enseignement.

« C’est le grand écart pour certains élèves », commentent Nicole Wauters et Véronique Detry, inspectrices de l’enseignement fondamental. Car la langue de communication, surtout orale, est fortement contextualisée (on se comprend à demi-mots), pas toujours construite, et approximative. La langue d’enseignement, elle, tant à l’oral qu’à l’écrit, est plus précise (avec des concepts et du vocabulaire spécifique), plus complexe. Elle s’exprime dans des registres très diversifiés (documents, règles, définitions, consignes…), concerne toutes les disciplines scolaires et couvre l’ensemble du parcours scolaire.

Allophones et francophones vulnérables

Les auteurs de la brochure Enseigner aux élèves qui ne maitrisent pas la langue d’enseignement (1) évoquent deux types d’élèves capables de communiquer entre eux sans pour autant maitriser la langue d’enseignement. « Les allophones parlent une langue autre : leur apprentissage du français débute. Ils peuvent avoir été scolarisés dans une autre langue, être analphabètes, illettrés. Le bain de langue de la classe ne leur suffit pas à acquérir la langue d’enseignement. Les francophones vulnérables, eux, maitrisent le français suffisamment pour être compris dans les interactions quotidiennes, mais leurs parcours de vie et d’école ne favorisent pas le développement des compétences langagières nécessaires à la réussite scolaire ».

Un phénomène interpelant

Difficile d’évaluer l’ampleur de la question. L’Administration générale de l’Enseignement dénombrait 4558 élèves primo-arrivants en 2015-2016. Selon les enquêtes PISA, le pourcentage d'élèves issus de l'immigration est passé en Fédération Wallonie-Bruxelles de 12 à 14,8% entre 2000 et 2009 (2). Dans une Proposition de résolution visant à améliorer l'accompagnement des élèves qui méconnaissent la langue d'enseignement examinée en octobre 2016 au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles (3), les auteurs estiment que 20% des élèves bruxellois ne parlent pas le français à la maison (3). Quels que soient les chiffres, la question préoccupe les enseignants, confrontés à l’hétérogénéité grandissante de leurs classes.

Une étude PISA de 2009 montre une différence considérable entre les résultats en lecture des élèves belges et des immigrés à 15 ans. Les écarts sont également importants entre élèves favorisés et défavorisés (4) (lire notre infographie "Lecture, le grand écart").

Cependant, les résultats de l’enquête PISA 2012 notent que la concentration des élèves allophones dans une école n’est pas en soi associée à une faible performance. L’amélioration est possible, quel que soit le niveau initial des élèves, des établissements et des systèmes d’éducation (5).

L’Organisation de coopération et de développement économiques évoque des pistes. « Avec la mise en place d’une démarche à l’échelle de l’établissement, l’aide aux élèves immigrés doit être intégrée dans toutes les matières inscrites au programme et dans toutes les activités scolaires et périscolaires. Les établissements devraient mieux associer les familles et les communautés immigrées aux activités de l’école. La participation des parents et de la collectivité peut avoir une influence sur l’attitude des élèves quand ils sont en classe ainsi que sur leur environnement d’apprentissage à la maison » (6).

Mesurer la maitrise

Le manque de maitrise de la langue d’enseignement se concrétise par un lexique moins riche, par des constructions syntaxiques simples ou incomplètes, par un faible usage des connecteurs, par la méconnaissance de certains sons. Ou encore par l’impossibilité de découper une phrase en mots, des mots en syllabes, ou de faire l’inverse. Ou encore par une faible fluidité du débit, par la difficulté à raconter une histoire…

Ces compétences sont reprises dans les référentiels et dans les programmes. Mais les enseignants rencontrés dans le cadre de ce dossier nous confirment leur difficulté à trouver des trouver des outils leur permettant de diagnostiquer les difficultés puis d’y remédier. « Si le niveau de réception (écouter/lire) et le niveau de la production écrite sont plus aisés à évaluer, expliquent Mmes Wauters et Detry, le niveau d’une production langagière orale reste complexe à apprécier. Cette dernière ne fait d’ailleurs pas partie des évaluations externes, certificatives ou non ».

Peut-être la création d’un référentiel pour le maternel (lire « Des balises plus pointues opur le préscolaire ») répondra-t-elle en partie à cette préoccupation des acteurs de terrain de disposer de balises. Notons que c’est une des préoccupations du Pacte pour un Enseignement d’excellence et que plus globalement, le Pacte insiste sur l’importance de l’enseignement maternel (7).

En attendant, comme on le lira dans les pages qui suivent, des écoles testent des pistes : privilégier l’apprentissage d’un vocabulaire de qualité plutôt que de quantité, utiliser la littérature de jeunesse, être attentif à l’apprentissage du français dans toutes les disciplines, ouvrir les portes de la classe et de l’école, utiliser les outils du français langue étrangère, créer des groupes de niveaux ou des groupes hétérogènes,…

Par ailleurs, il existe des dispositifs structurels : l’enseignement différencié, les Dispositifs d’accueil et de scolarisation des élèves primo-arrivants (8), le programme d’Ouverture aux langues et aux cultures et les cours d’Adaptation à la langue d’enseignement (lire « Le français langue étrangère à la rescoursse ? »)...

Au sein du Centre de recherche et de réforme en éducation de l’Université Hopkins, à Baltimore, le professeur Robert Slavin a analysé l’efficacité de différentes méthodes mises en place au profit des lecteurs faibles ou en grande difficulté. Le plus efficace : le tutorat individuel assuré à des élèves par des enseignants qualifiés. Certains programmes basés sur l’apprentissage coopératif donnent des résultats équivalents (9).

Des voix s’élèvent aussi pour souligner la richesse de la diversité : « Si on cessait de voir comme un problème la présence au sein de l’école d’un nombre croissant d’enfants de l’immigration ?, insiste la sociologue Marie-Rose Moro. Assumée et valorisée, la diversité constitue un atout » (10).

 

(1) Téléchargeable via http://bit.ly/2gl1khf et disponible en version « papier » sur demande à enseignement.documents@cfwb.be
(2) OCDÉ, Résultats du PISA 2009 : Tendances dans l’apprentissage : L’évolution de la performance des élèves depuis 2000 (Volume V), PISA, Editions OCDE, figure V.4.6. p. 83. http://www.oecd-ilibrary.org/education/resultats-du-pisa-2009-tendances-dans-l-apprentissage_9789264091603-fr
(3) Téléchargeable via http://bit.ly/2gjP2SG
(4) La lecture à 15 ans. Premiers résultats de PISA 2009, Unité d’analyse des Systèmes et des Pratiques d’enseignement (aSPe), ULg. http://bit.ly/2fhNS9o
(5) PISA à la loupe n° 22, novembre 2012, http://www.oecd-ilibrary.org/fr/education/pisa-a-la-loupe_22260927
(6) Dossier Examens de l'OCDÉ sur la formation des migrants - Combler l'écart pour les élèves immigrés, 2008. http://bit.ly/2eNpvF8
(7) PACTE POUR UN ENSEIGNEMENT D’EXCELLENCE, Orientations relatives aux objectifs du Pacte. Avis n°2 du Groupe central, p. 93 et suivantes. http://www.pactedexcellence.be/index.php/documents-officiels/
(8) « Des passerelles pour un ‘passeport’ » dansnotre numéro de décembre 2010 (PROF 8), p. 8 et « Les classes-passerelles revues et corrigées » dans notre numéro de mars 2012 (PROF 13), p.34. http://www.enseignement.be/prof
(9) Educator’s Guide identifying what works for struggling readers, http://bit.ly/2fAw1vb (en anglais)
(10) MORO M. R., Enfants de l’immigration, une chance pour l’école. Entretiens avec Joanna et Denis Peiron, Bayard, 2012.