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Magazine PROF n°44

 

Dossier L’oral, un objet d’enseignement

L’oral, un objet d’enseignement

Article publié le 06 / 12 / 2019.

Tous les enseignants demandent à leurs élèves de dire un texte ou de réaliser un exposé. Mais leur enseigne-t-on comment faire ? Car, l’oral constitue bien un objet d’enseignement en soi. Notre dossier fait état des dernières recherches, avant d’aller vers des pratiques de terrain.

Stéphane Colognesi et Catherine Deschepper sont deux didacticiens du français. Ils ont réalisé un état des lieux de l’enseignement de l’oral dans le fondamental et mènent des recherches sur des pratiques de terrain efficaces.

© Adobe Stock / cristovao31

PROF : Que disent les chercheurs sur l’enseignement du français oral ?
Stéphane Colognesi :
Même si elles ne sont pas encore nombreuses, les recherches sont quasi unanimes. Au Québec, en Suisse, en France et en Belgique francophone, la culture de l’écrit domine et les enseignants du fondamental mettent beaucoup d’énergie dans les « lire-écrire » et moins dans les « parler-écouter ».

Ainsi, ils exercent l’oral en tant que médium ou moyen de communication, mais le voient peu comme un objet d’enseignement. Par exemple, les élèves doivent expliquer des phénomènes aux autres ou réaliser des exposés, sans avoir nécessairement appris à le faire. En plus, l'oral implique la gestion des émotions, plus que l'écrit.

Ces constats, nous avons pu les confirmer via un questionnaire auquel 290 enseignants ont répondu spontanément (1). Autre confirmation, la palette d’activités proposées aux élèves se résume souvent à la récitation, l'exposé et le questionnaire de « savoir écouter ».

Cette culture de l’écrit est sociétale. Au-delà, plusieurs facteurs expliquent ce déséquilibre. Peu de supports existent pour enseigner l’oral. De plus, il est compliqué à évaluer : il faut une grille d’observation bien détaillée ou revoir l’élève. Cela prend du temps. D’autres difficultés concernent le discours de l’élève. La réécriture est confortable, rassurante. À l’oral, la communication est directe : il existe peu d’occasions de « réoraliser », c’est-à-dire de se réentendre, de voir les aspects à améliorer et de redire.

Aujourd’hui, même si les moyens techniques d’enregistrement et de réécoute y aident, il faut du temps, de l’habitude, de l’entrainement. C’est la clé. Le dispositif Itinéraires, construit dans ma thèse, montre l’intérêt de revenir sur une production, écrite ou orale, avec le soutien des pairs et de l'enseignant (2).

Catherine Deschepper : Un autre objet d’inquiétude concerne la question de la trace. Pour une activité à l’oral, quelle évaluation conserver, quelle synthèse produire, quel écrit pour manifester la preuve d’un apprentissage ? L’enseignant veut bien faire. La trace permet de s’autoévaluer ou de laisser à un tiers la possibilité de vérifier que le travail effectué a été bien fait.

Cette prépondérance de la « preuve écrite » opère également quand on compare l’oral et l’écrit. L’idée qu’il faut « parler comme on écrit » est encore très présente et rendue possible en français par la relative similarité de l’oral et de l’écrit (par opposition, par exemple, aux langues arabes). Or, une prise de parole efficace et correcte s’affranchit justement de l’écrit. Par exemple, les répétitions, les phrases tronquées pour s’assurer de la compréhension de l’interlocuteur, lourdement jugées à l’écrit, peuvent se révéler très efficaces à l’oral.

Par ailleurs, toute une série de paramètres liés à la voix (intonation, volume, débit…) sont difficiles à évaluer de façon objective ou identique pour tous. Nous sommes plus ou moins sensibles à certaines modalités de prise de parole. D’autre part, ces paramètres auront une efficacité variable selon le lieu, le type de discours, l’interlocuteur, l’effet à produire,...

S. C. : L’oral a une place dans les programmes, mais peu dans le journal de classe. Il y a là quelque chose à développer en formation initiale pour rassurer les futurs enseignants. Et c’est difficile de spécifier les objets de travail. En dehors du débit, du volume, de l’articulation, du regard, de la possession de l’espace, il y en a beaucoup d’autres : l’attaque, la conclusion, l’usage de verbes, les pauses… Les référentiels québécois, par exemple, sont plus précis que les nôtres.

Comment voir la didactique du parler-écouter ?
S. C. :
Dans toutes les disciplines, on utilise la langue orale pour communiquer et apprendre. En outre, l’oral permet d’échanger sur ses pratiques, sur ses stratégies d’apprentissage, et constitue un facteur de métacognition. Mais on peut également consacrer du temps à découvrir comment mieux utiliser cet outil : il doit être considéré aussi comme un objet d’enseignement, à l’instar de l’écrit.

Pour travailler sur cet objet, certains, comme les Québécois, prônent de mêler, dans un même parcours, le parler, l’écouter, le lire, l’écrire : c’est une approche intégrée. Ils partent du principe légitime que l’écrit sert l’oral et l’inverse. D’autres, dans une approche autonome, mettent le zoom sur une compétence spécifique : l’articulation, l’attaque, la conclusion, le regard… et creusent bien en dessous de la surface. Et pas seulement au cours de français. Apprendre comment réaliser un exposé, par exemple, concerne toutes les disciplines.

C. D. : Développer une compétence spécifique passe souvent par les quatre dimensions de la langue et par le va-et-vient continu entre elles. Apprendre, par exemple, à structurer une intervention en organisant son énoncé, c’est nécessaire au lire-écrire et au parler-écouter. Lorsque l’enseignant fait les liens entre les quatre, cela le rassure : « le temps passé à travailler l’oral servira l’écrit ». Une de nos récentes recherches portait sur une activité de développement du vocabulaire et de la conjugaison à l’oral à partir d’une lecture d’album ; on a pu très nettement observer l’impact positif de l’apprentissage oral sur l’écrit et vice-versa (3).

De plus, les langues de la maison et de l’école diffèrent… ?
C D. 
: Si le français pratiqué à la maison présente un trop grand écart avec celui de l’école, cela pose problème. Par exemple, rares sont les familles qui utilisent de façon courante les verbes opérateurs tels que « classer, comparer, mettre en ordre, apparier, décrire,… ». Ils sont fondamentaux à l’école et impliquent la mise en œuvre d’actions cognitives.

Or, ces verbes qui décrivent ces pratiques sont souvent considérés en classe comme des évidences. Les opérations auxquelles ils font référence ne sont pas forcément enseignées. En somme, certains élèves, parce qu’ils parlent déjà français, sont peu aidés dans l’adaptation à la langue scolaire. Leurs difficultés sont plus difficiles à diagnostiquer. C’est comme si leur compétence en langue française les empêchait de recevoir le soutien nécessaire, malgré les dispositifs DASPA-FLA. Une réforme de ces dispositifs est mise en place depuis septembre, sera-t-elle suffisante ?

En parallèle, certaines pratiques scolaires de l’écrit sont « non médiatisées », comme la rédaction en primaire ou la dissertation en secondaire. Il s’agit de genres écrits dont les définitions varient et qui n’existent pratiquement pas en-dehors de l’école. Les élèves les plus intuitifs ou ceux qui entrent plus facilement dans la culture scolaire parviennent à sentir les attentes de l’enseignant et s’en sortent. Pour d’autres, c’est beaucoup plus difficile. À l’oral, c’est la même chose.

Quelles pratiques sont-elles efficaces ?
S. C. : Dans un module de formation spécifique à l'oral, on a demandé aux futurs enseignants de dernière année d’expérimenter certaines pratiques comme la réoralisation, l’évaluation entre pairs. Ils pointent certains principes.

La réoralisation est essentielle. Affronter une classe est très déstabilisant. Il faut avancer par étapes pour oser parler : par deux, par quatre… Et avoir des défis au fur et à mesure des nouvelles prises de parole, pour s'améliorer. Cela permet de s’entrainer et d’assurer un certain confort. Par exemple, écouter ou visionner des supports réels du type de message à produire aide les élèves.

C. D. : Il est important, dans ce cas, de ne pas donner aux élèves que des bons exemples, ou des modèles impossibles à atteindre, sans quoi ils se sentiront vite dépassés. Réaliser une vidéo comme celles du journal télévisé demande des moyens techniques et des ressources que les élèves n’ont pas. On peut rechercher des vidéos amateurs ou celles réalisées par les élèves de l’an passé et observer les erreurs. C’est rassurant.

Nos étudiants montrent aussi que l’observation et l’évaluation fonctionnent mieux dans le groupe si elles sont précédées d’une auto-évaluation par l’élève et de son accord d’être vu par les autres pour s’améliorer. La plupart sont d’accord de se faire évaluer par les autres une fois qu’ils se sont vus eux-mêmes, à l’aide d’une tablette par exemple. L’interaction et les échanges de points de vue amènent une belle amélioration.

Est-elle plus efficace que le feed-back de l’enseignant ?
S. C :
Dans une recherche, on a voulu vérifier le fait que l’évaluation par les pairs amène de l’amélioration. Et effectivement, les avis des pairs amènent de réelles améliorations. L'étude a montré que lorsqu’un élève émet un commentaire vers un autre, il réfléchit à cet élément lors de sa prochaine intervention orale. Il s’interpelle lui-même. C’est d’ailleurs un facteur rassurant pour les enseignants. S’ils doivent assurer, seuls, l’observation et l’évaluation, ils ont difficilement le temps d’être présents pour tous les élèves et pour toutes les étapes de leur travail.

C. D. : Et je ne suis pas persuadée que cela soit efficace. L’interaction orale dans le groupe fait prendre conscience de la subjectivité de toute intervention, de l’importance du paraverbal et de la négociation, dans laquelle je trouve de la liberté en tant qu’orateur.

En maternelle, un enfant passe 50% de son temps à apprendre à parler et à prendre la parole. Cette proportion diminue au fur et à mesure de sa scolarité. Pourquoi ?
S. C. :
Au secondaire, il y a des cours spécifiques de théâtre, d’expression orale, qui tempèrent ce constat.

C. D. : Dans notre état des lieux, certains enseignants disent ne pas devoir faire de l’oral parce que leurs élèves parlent tout le temps. D’autres que l’apprentissage de l’oral se fait à la maison. En primaire, on apprend à lire et à écrire. Cela implique de développer l’orthographe, la grammaire, la conjugaison, le vocabulaire... Cela prend souvent toute la place disponible dans la grille horaire.

Même dans les Socles de compétences, la partie consacrée à l’écrit est beaucoup plus détaillée que celle consacrée à l’oral. Le CEB joue également un rôle. On met le paquet pour le préparer, et il ne comprend pas d’épreuve orale. Ceci dit, envisager une telle épreuve dans un tel contexte serait une mauvaise idée : il serait impossible d’appliquer les principes fondamentaux d’une prise de parole efficace (prise de parole devant les pairs, réoralisation, possibilité de se visionner avant de faire évoluer la prise de parole, construction d’un cadre rassurant,…). Et l’oral, on l’apprend toute sa vie.

S. C. : Pour apporter notre pierre à l’édifice, nous avons fondé l’an passé le Groupe collaboratif pour l’Enseignement de l’Oral (GCEO), composé de chercheurs, d’enseignants, de didacticiens, de psychologues, de psychopédagogues. Notre objectif général est de développer des supports d'enseignement de l’oral et des outils d’évaluation pour les praticiens et les chercheurs.

Une conclusion ?
C. D. :
À l’oral, comme à l’écrit, il est très important de faire varier les situations d’apprentissage pour apprendre aux élèves à s’adapter aux lieux, au temps, aux interlocuteurs, aux situations de communication. Un locuteur compétent est-il celui qui apprend à produire un énoncé standardisé ou celui qui peut faire varier son intervention en fonction de la situation de communication ?

S. C. : La préoccupation des chercheurs quant à l’oral, c’est aussi celle des inspecteurs et celle de nombreux enseignants de terrain. C’est heureux, parce que les réflexions des uns et des autres vont interagir et en créer d’autres. Nos constats pour le primaire, il est important de les partager avec le plus de collègues possibles mais aussi avec ceux du maternel et du secondaire. La dissémination amènera la contagion. Nous avons bon espoir qu’elle touche les nouveaux référentiels du tronc commun.

(1) COLOGNESI S. & DESCHEPPER C., « Les pratiques déclarées de l’enseignement de l’oral au primaire : qu’en est-il en Belgique francophone ? », dans Language and Literacy, 21(1), 2019, 1-18.
https://doi.org/10.20360/langandlit29365
(2) COLOGNESI S., Faire évoluer la compétence scripturale des élèves, thèse présentée à l’UCL, 13 juin 2016.
https://www.researchgate.net/publication/290431071_Faire_evoluer_la_competence_scripturale_des_eleves
(3) COLOGNESI S. & DESCHEPPER C., « Blablabla. Ou développer des habiletés d’écoute et de prise de parole à partir d’un album jeunesse », dans MONTESINOS-GELET I. (Eds.), Pleins feux sur les albums, Montréal : CDFDF, 2018 (pp. 125-150).

En deux mots

Stéphane Colognesi est docteur en sciences psychologiques et de l’éducation et professeur à l’Université catholique de Louvain. Avant cela, il a enseigné à l’école primaire pendant plus de dix ans, et a été ensuite psychopédagogue en formation initiale des enseignants du primaire. Ses recherches portent sur l’enseignement/apprentissage de l’écrit et l’oral au primaire et au secondaire et sur l’accompagnement des pratiques professionnelles des enseignants.

Catherine Deschepper est docteure en langues et littératures romanes et professeur de didactique du français à la Haute école Léonard de Vinci en formation initiale des enseignants du primaire. Ses recherches portent sur la didactique du français au primaire et sur la maitrise de la langue des étudiants de l’enseignement supérieur.

En résumé

Stéphane Colognesi et Catherine Deschepper ont réalisé un état des lieux de l’apprentissage de l’oral.

On lira ci-contre qu’ils préconisent d’appliquer à l'oral la pédagogie de l'écrit : « réoraliser » comme on peut « réécrire ».

À ceux qui objectent qu’évaluer l’oral de chaque élève prend énormément de temps, ils recommandent de s'appuyer sur l'auto-évaluation et sur l'évaluation par les pairs.

Enfin, ils suggèrent d’être plus explicite, dans toutes les disciplines, sur les réalités cachées derrière les verbes opérateurs tels que « classer, comparer, expliquer, exposer... »

Du temps de parole pour les élèves !

Quant à l’enseignement de l’oral, les inspecteurs et les chercheurs partagent le même constat.

La langue de scolarisation, à la fois celle des interactions à l’école et des apprentissages (1) englobe le français oral. Comment l’école permet-elle à tous les élèves d’accéder à la langue de scolarisation ? Voilà le titre d’une étude réalisée en 2017-2018 par le Service général de l’Inspection (enseignement fondamental ordinaire).

© Adobe Stock / contrastwerkstatt

S’appuyer sur les élèves

Les observations de classe et les entretiens menés avec chaque enseignant de l’échantillon rejoignent les constats de nombreux chercheurs européens : la majorité des enseignants, tant à l’oral qu’à l’écrit, dans toutes les disciplines, préparent et animent leurs cours en intégrant peu voire pas d’éléments permettant l’acquisition de la langue de scolarisation.

Ainsi, les auteurs circonscrivent ce qui est important à comprendre, à apprendre et à retenir : les apprentissages scolaires, l’évolution des choix lexicaux et les structures langagières utiles pour argumenter, justifier, décrire, démonter, expliquer.

L’accent est également mis sur l’importance de l’apprentissage de l’oral tout au long de la scolarité, à articuler à une pédagogie de l’écrit. Et sur l’organisation de discussions permettant la confrontation des points de vue des élèves et la construction collective des stratégies optimales. Le rapport indique que « pour 45 % des classes, la gestion de la classe par l’enseignant représente plus de 40 % des prises de parole ».

Des pistes de solutions ? Revoir les formations initiale et continuée en conséquence, s’emparer des quelques outils disponibles, listés dans le supplément en ligne de ce dossier (2).

Un impact sur le tronc commun

Ce constat des chercheurs et des inspecteurs semble avoir retenu l’attention des auteurs du futur référentiel français du tronc commun. Dans leur introduction, ils écrivent : « Si le développement de l’expression orale constitue un des grands objectifs de l’école, il trouve trop peu de place dans l’enseignement. Parmi les difficultés évoquées, on pourrait retenir la méconnaissance de la distinction entre l’oral et l’écrit ou le fait de considérer la langue écrite comme une simple transposition de l’expression orale ».

(1) Définition plus complète dans Enseigner aux élèves qui ne maitrisent pas la langue de l’enseignement. Brochure, 2014, AGE,
http://www.enseignement.be/index.php?page=27052
(2) http://www.enseignement.be/prof